Journal de l'année du désastre : Kressmann Taylor à Florence

J'ouvre un topic à une de mes meilleures lectures de 2024 : le journal de voyage de Kresmann Taylor à Florence.

  


En 1966, après avoir pris sa retraite d'enseignante à l'Université, la grande romancière américaine Kresmann Taylor (autrice du grand classique Inconnu à cette adresse - topic ici  ) pose ses valises à la pension Consigli, dans le coeur de Florence.
Dans sa petite pension, où elle occupe une chambre avec vue sur l'Arno (tout comme la Lucy Honeychurch d'EM Forster, quelques décennies plus tôt ), elle assiste, le soir du 3 novembre, en compagnie d'Italiens et de quelques Américains venus découvrir la ville comme elle, à l'une des plus grandes inondations qu'a connues la ville. C'est une crue dévastatrice, Florence est littéralement engloutie par son fleuve.

Dans son Journal, elle nous livre un témoignage dans la plus pure tradition des écrivains qui allaient faire le "Grand Tour" en Italie, et pour lesquels, Florence était une étape incontournable.
Elle vit, impuissante, comme tous les Florentins, une nuit diluvienne qui se transforme en cauchemar. La ville, immensément riche d'un passé artistique, intellectuel et historique, est rapidement et inexorablement envahie par l'Arno. Privés d'informations, comme abandonnés à eux-mêmes et craignant pour leur vie, les habitants guettent la montée du fleuve jusqu'à leur porte.
Mais au petit matin, lorsqu'enfin le fleuve se retire, il n'y a pas de mot assez fort pour décrire ce qu'il reste de Florence. La ville a été inondée par l'eau boueuse de l'Arno mais pire encore, le mazout colle et s'infiltre partout. Les flots ont charrié des épaves de voitures, des arbres déracinés, des objets par milliers. Certains habitants, à commencer par les petits artisans et échoppiers (très nombreux car Florence n'est pas une ville industrielle), ont absolument tout perdu.

Des pompiers sont rapidement dépêchés pour aider les sinistrés, et avec eux des restaurateurs du monde entier. Le centre historique, les églises et les bibliothèques ont été ravagés, et avec eux d'innombrables chefs d'oeuvre. De sa  fine architecture à ses fresques ouvragées, en passant par ses toiles et ses sculptures de grands maîtres et ses manuscrits anciens, c'est toute l'âme de Florence qui a été ainsi touchée. Certains de ses trésors sont perdus à jamais mais les moyens - financiers et humains - mis à disposition sont colossaux pour essayer de sauver ce qui peut l'être. Parmi les bénévoles, se trouvent des étudiants, "des jeunes tout simplement magnifiques", comme les qualifient Kresmann Taylor, que les Florentins, reconnaissants, ont renommé  les "angeli del fango" (les anges de boue). Dans un fabuleux passage, Kresmann Taylor met en scène dans toute leur splendeur leur ténacité, leur enthousiasme et leur amour indéfectible pour Florence.

Dans ce journal à la portée universelle, une force prédomine : celle de l'esprit de résistance. Elle traverse toute l'oeuvre de l'écrivaine et est incarnée ici par les Florentins. Kresmann Taylor leur rend ici un hommage incomparable. Leur visages sont devenus blêmes, leurs voix sont presque brisées, ils ne peuvent songer qu'avec gravité au drame qui s'est joué pendant ces heures sombres et à celles qui les attendent encore sans doute pendant plusieurs années. Mais ils ne se laissent pas abattre et se mettent rapidement à nettoyer et à reconstruire, même si la tâche semble insurmontable. Kresmann Taylor exprime dans son récit l'admiration infinie qu'elle éprouve à l'égard de ces femmes et de ces hommes. A travers leur sourires empreints de gravité, leur humour désabusé, leur incroyable instinct de survie, c'est la dignité de tout un peuple qui prend vie et est immortalisé entre ces pages.

Un ouvrage plein d'espoir, porté par le regard profondément humain d'une très grande romancière. Un coup de coeur, en somme.


Pour info, ce titre sera réédité par l'éditeur anglais indépendant Manderley Press en novembre.

Cette nouvelle édition proposera une préface de l'écrivaine et historienne de l'art Vanessa Nicolson.
L'illustration de la couverture est signée Agnes Bic (une artiste que j'adore )

Ca a l’air passionant! Je le note Je ne connaissais pas cette auteure, je vais aller fouiller dans le forum

C'est très tentant, mais quand on voit la couverture du Manderley et les françaises, il n'y a pas photo entre les 3...

Barbara a écrit:

Ca a l’air passionant! Je le note Je ne connaissais pas cette auteure, je vais aller fouiller dans le forum

Je te conseille vraiment Inconnu à cette adresse. Ce titre mérite tous les éloges qu'il a reçus. 

Shelbylee a écrit:

C'est très tentant, mais quand on voit la couverture du Manderley et les françaises, il n'y a pas photo entre les 3...

J'ai adoré ce livre alors je pense craquer pour l'édition anglaise un de ces 4 mais il est tellement bon qu'au final, la beauté des couvertures me paraît vraiment secondaire. Et je suis bien contente d'avoir pu le découvrir en français 

Ce livre le tente beaucoup

Je le lis en septembre, je l'ai acheté presque immédiatement après avoir lu ton avis sur Instagram

Oooooh, tu m'en vois absolument ravie ! Hâte d'avoir ton avis 

Alors, l'année n'est pas finie mais je pense que Journal de l'année du désastre sera ma lecture préférée de cette année Mille mercis Emjy pour en avoir parlé et me l'avoir fait découvrir  

Journal de l'année du désastre est un livre passionnant et terrifiant à la fois : passionnant car on découvre un moment d'Histoire et le témoignage de Kathrine Kressmann Taylor est juste, pertinent et qu'elle parvient à la fois à se mettre dans la peau des habitants de Florence et dans celle d'une touriste. Et terrifiant car c'est très éprouvant de lire l'ampleur de la catastrophe et des dégâts causés, aussi bien dans le quotidien des gens (commerces détruits, personnes qui se retrouvent sans logement et sans autres possessions que les vêtements sur leur dos...) que pour l'histoire de la ville et du monde (oeuvres d'art et manuscrits perdus ou très endommagés, monuments et sculptures dégradés et salis par l'eau et la boue...)

Certains passages de ce livre m'ont beaucoup marqué, comme celui où l'autrice dit que les Florentins ne sentent pas propriétaires de toutes les merveilles artistiques et architecturales de leur ville mais plutôt comme les gardiens pour le reste du monde et pour les générations futures. Ou encore cette solidarité incroyable des étudiants italiens et du reste du monde qui affluent à Florence pour aider au nettoyage et à la restauration des oeuvres d'art.
Mais ce qui frappe surtout dans ce livre, c'est le courage et l'abnégation des Florentins : dès que l'eau quitte la ville, tout le monde nettoie la boue qui jonche les maisons et les rues avec les moyens du bord, sans se plaindre sur son sort ou sur le caractère pénible et long de l'entreprise. Leur optimisme aussi : presque aucune des personnes rencontrées par l'autrice ne se plaint (même quand la situation les met quasiment dans la pauvreté), tous gardent l'espoir des jours meilleurs. L'humour apparaît également comme incroyablement salvateur, que ce soit à travers les panneaux pour s'excuser de la fermeture d'un magasin ou pour relativiser sur le tragique de la situation. Plus globalement, on sent que Kathrine Kressmann Taylor aime Florence et les Florentins et elle parvient à transmettre ce sentiment au lecteur.

Enfin, ce Journal de l'année du désastre s'étalant sur plusieurs mois, on assiste progressivement au retour à la normale de la vie à Florence mais aussi aux grands programmes de travaux lancés par la ville et c'est assez surprenant et admirable de voir la rapidité avec laquelle la ville et ses habitants se sont relevés d'une telle catastrophe (même si on voit bien que les travaux les plus lourds prendront plusieurs années).

J'ai fermé ce livre presque à regret tant il est passionnant. Il donne envie d'en apprendre plus sur les inondations de Florence de 1966, sur la reconstruction de la ville après ça et sur la restauration des oeuvres d'art. Et j'ai déjà repéré des titres de romans qui se déroulent à Florence à cette période

@ Sandie
Ce livre me tente de plus en plus, surtout avec ton avis si enthousiaste!