J'ai lu l'autobiographie d'Edith Wharton dans l'ancienne version en poche.
Les chemins parcourus (A backward glance en VO d'après un poème de Walt Whitman) est le titre de l'autobiographie de Edith Wharton. C'est un témoignage exceptionnel de l'autrice qui se confie sur sa vie et quelle vie !
Edith nous emmène avec elle dans le "Vieux New-York" et la bonne société, même si elle considère qu'elle a toujours été un peu à part, sa famille n'étant pas très riche et Edith n'aimant pas les mondanités (j'y reviendrai).
Ce n'est pas une autobiographie linéaire, elle prend de nombreux chemins de traverse, un souvenir en appelant un autre et on est parfois un peu perdu dans la temporalité sans que cela soit rébarbatif non plus, elle jette effectivement un regard en arrière. Elle est publiée en 1934, quelques années avant sa mort.
Edith Wharton a passé la majorité des premières années de sa vie en Europe et en a été profondément marquée. Quand elle retourne à New-York dans les années 1870, elle trouve la ville l'aide et elle se sent en décalage avec la société new-yorkaise. Passionnée par la lecture depuis toujours, elle se sent isolée parce que personne ne partage sa passion et que l'on ne discute pas de ce genre de choses. Même quand elle sera publiée, personne de la bonne société new-yorkaise ne lui parlera de ses écrits parce que c'est plus une honte qu'autre chose. Je pense que les grands lecteurs que nous sommes pouvons facilement nous reconnaître dans la passion qu'elle décrit et aussi l'incompréhension que cette passion peut créer parfois. Mis à part que Edith est carrément ostracisée pour cela. Elle en retire ce qui aurait pu être un complexe d'infériorité comme elle l'écrit "si on avait déjà inventé des troubles de ce genre".
C'est d'ailleurs cette évolution qui est absolument fascinante à observer. Tous les changements qu'elle a vécu sont impressionnants, elle vit vraiment dans un autre monde que celui de son enfance et elle s'en rend bien compte. Elle décrit le charme des voyages perdus au milieu des petits villages italiens inexplorés qui seront devenus beaucoup plus facilement accessibles ensuite avec l'essor de l'automobile dont elle est une adepte invétérée.
Une large partie de son autobiographie est consacrée à sa relation avec Henry James et là encore, c'est passionnant, d'autant plus que c'est une relation extrêmement complexe, faite d'admiration sincère, de complicité intellectuelle, mais aussi d'envie et parfois de piques bien senties de la part des 2 auteurs qui avaient pour habitude de ne jamais discuter de leurs livres (et honnêtement, il fallait au moins ça pour qu'il reste amis, vu le côté fracassant du peu de ce qu'elle décrit sur leurs ouvrages). Toutefois, leur relation l'a profondément marquée, même quand Henry James a disparu d'autant plus qu'elle n'a pas pu lui dire aurevoir puisqu'il est décédé au cours de la Première Guerre mondiale.
Le passage sur la Première Guerre mondiale est aussi absolument fascinant. Je n'avais aucune idée de son rôle au cours du conflit à la fois témoin par ses écrits (allant pas moins de 7 fois sur les lignes de front !) et bienfaitrice dans des organisations d'aide aux réfugiés. Je n'avais pas besoin de cela pour l'admirer, mais je vous avoue que cela n'a fait que décupler mon intérêt pour sa vie et son œuvre (je regrette que ses écrits sur la guerre ne soient plus disponibles en français).
Loin d'être pompeux, c'est souvent drôle, comme lorsqu'elle raconte un passage où Henry James demande son chemin.
Certains reprochent différents éléments à cette autobiographie. Elle y parle en effet peu de livres, où en tout cas, pas des livres auxquels on s'attend le plus. Elle évoque beaucoup ses ouvrages sur l'aménagement intérieur ou sur les jardins et au final très peu ses romans, mais je pense que cela s'explique par sa timidité et puis par le fait qu'on lui a toujours dit qu'il ne fallait pas en parler, que les romans ce n'était pas de la vraie littérature. Autre fait reproché, elle est plus que floue sur sa vie privée. Elle ne dit même pas qu'elle a divorcé, évoque encore moins son amant Morton Fullerton et cite des "nous" à qui nous sommes bien en peine en tant que lecteur d'attribuer un nom. Cela ne m'a pas particulièrement dérangée, n'étant pas forcément friande de potins.
Je trouve juste dommage qu'elle n'évoque pas son divorce, juste comme un fait, mais cela ne se faisait tellement pas dans son "monde" que je ne trouve pas cela surprenant non plus. A la fin de l'autobiographie, il y a quelques pages assez saisissantes d'une première version où elle se livrait bien davantage sur sa vie personnelle, mais elle a fait le choix de retravailler ses passages. Je trouve de toute manière qu'une autobiographie en dit autant parce qu'elle tait donc c'est tout de même intéressant.
Le seul petit point qui fait que ce n'est pas un coup de cœur, c'est parce qu'il y a un petit moment de creux, au moment de sa vie littéraire en France où elle cite un nombre impressionnant de personnes dont certains sont peu connus aujourd'hui et j'ai trouvé ce name-dropping un peu lassant, surtout qu'elle nous répète qu'elle n'est pas une mondaine. Je dirai qu'elle ne se considère pas comme une mondaine par rapport aux membres de la bonne société qui ne font que ça, mais elle connaissait un nombre invraisemblable de personnes
et dînait chez ses personnes au moins 3 ou 4 fois par semaine. Néanmoins, cela reste intéressant, notamment dans la comparaison entre les 3 milieux qu'elle fréquente à New-York, à Londres et à Paris où tout est organisé différemment. A New-York, on reste dans sa classe sociale, à Londres, on reste dans sa catégorie professionnelle et à Paris, on dose un savant mélange de tout le monde. Bref, même ce qui est moins passionnant présente un intérêt quand même.
A la fois critique de la société dans laquelle elle a été élevée et nostalgique d'un passé qu'elle a vu disparaître, c'est un texte très émouvant et passionnant que je conseille absolument à toute personne aimant Edith Wharton.
En poche, il n'est plus disponible qu'en occasion, mais il a été republié récemment en grand format avec une préface inédite de Jean Pavans (très intéressante, j'ai lu l'extrait) et de très nombreuses notes de bas de page qui m'ont parfois manqué dans ma version. Je regrette enfin que les biographies sur Edith Wharton soient si peu accessibles. Celle de Hermione Lee, considérée comme la meilleure, n'est même plus disponible en paperback en anglais !
Je rêve aussi d'une série dont Edith Wharton et Henry James seraient les héros parce que franchement, il y a de quoi faire, je ne comprends même pas que personne n'ait encore écrit cela !
Vous avez sans doute l'impression que je vous en ait dit beaucoup, mais je vous assure que j'ai l'impression de ne pas avoir évoqué le tiers de ce que je voulais