Eté d'Edith Wharton

Je viens de terminer Été, et j'ai aussi aimé! Comme vous je ne m'attendais pas à un tel récit. Le cadre est rude, et le petit village dépouillé de grand intérêt. La quatrième de couverture n'évoquait que la dimension sensuelle du récit mais le roman est bien plus complexe. Il y a d'abord ce rapport à la Montagne et au village. Charity y vit depuis presque toujours, mais se sachant originaire de la Montagne, un lieu de vices, pauvreté et sauvagerie, elle se sent différente. Elle est bibliothécaire mais alors que ce métier pourrait être source de fierté ou curiosité, elle s'en désintéresse complètement. Et puis arrive ce jeune architecte, érudit. Elle, ne semble prendre plaisir qu'auprès de la nature. Souvent, après avoir quitté son travail elle s'allonge dans l'herbe et s'y repose. C'est une dimension importante pour elle. Bien sûr elle aime aussi les jolies toilettes, et semble constamment tiraillée entre plusieurs univers, sans jamais trouver sa place. Ses réactions du début du roman semblent être celles de quelqu'un qui vit dans la honte de sa situation. Par la suite elle s'adoucit car elle se sent un peu estimée. Elle attend d'économiser suffisamment pour quitter ce lieu. Comme les gens qui ne se sentent pas bien quelque part, elle est dans l'indifférence de la culture qui l'entoure. Elle a honte de la Montagne d'où elle vient, bien qu'elle soit incapable au début de décrire cet endroit, si ce n'est d'après des rumeurs. Mais elle ne connait pas non plus le village où elle vit, et s'étonne de l'intérêt de Lucius pour son histoire. Il y a ce fossé ville / campagne qui est un obstacle, même si ce n'est jamais vraiment explicite.
Les illusions qu'elle se fait sur cet amour d'été, les barrières qu'elle laisse doucement s'envoler sont élégamment décrites. Et puis il y a ce tuteur, rude lui aussi, mystérieux, violent, qui la confronte puis demeure en lisière.
La fin peut décontenancer, c'est vrai. Car on ne sait pas vraiment comment expliquer ce revirement. À un moment elle dit que désormais ils sont deux. Et je crois qu'elle se laisse ramener et épouser car elle veut garder son enfant. Elle évoque un moment la possibilité d'imiter le choix d'une autre fille, mais partir reviendrait à le placer pour pouvoir travailler. C'est une des hypothèses, car son attachement semble très fort. Je crois aussi que ce choix est dans la logique de son retour à la montagne. Lorsqu'elle passe la nuit là-bas, après la mort de sa mère, elle comprend ses origines, n'en a plus tellement de souffrance, mais se retrouve quand même prisonnière d'autres aléas. En effet la romancière insiste fortement sur le fait que l'émancipation passe par l'argent : celui du travail de bibliothécaire, celui redevable à son tuteur pour la loger, celui qu'elle doit au médecin. Elle n'en a pas. Elle a eu le désir d'une autre vie, mais en résonance au discours de Mr Royall, elle retrouve le village, par fatalité. Car où aller sinon? La fin est triste, mais je ne sais pas si Charity l'est, elle semble résignée, on ne saura pas si elle continuera à vivre dans l'indifférence ou œuvrera à améliorer son quotidien. Toujours en écho au discours qui l'a tant bouleversée.
Je pense à une résignation au vu de ce passage :

Spoiler:

J'y ai vu une magnifique histoire sur le désir, mais aussi sur la nécessité de connaître ses racines (sociales, familiales, géographiques). C'est un roman riche qui appelle à de multiples lectures.