Nickel Boys de Colson Whitehead

Couronné en 2017 par le prix Pullitzer pour son roman Underground Railroad sur l'esclavage au XIXème siècle, Colson Whitehead ne s'imaginait sans doute pas recevoir de nouveau, à seulement 47 ans, cette prestigieuse récompense pour son tout dernier ouvrage : Nickel Boys. Un roman que je classe désormais parmi mes lectures coups de cœur de l’année. 

Le 1er janvier 2000, la "Reform school" pour garçons Arthur G. Dozier est créée dans l'Etat de Floride. Au cours de ses 111 années d'existence, cette institution pour jeunes délinquants a de nombreuses fois défrayé la chronique. Sous ses allures d'école de la dernière chance se cache en effet une réalité bien sordide. En 2009, après une inspection d'établissement, une enquête est lancée. L'Amérique découvre alors avec horreur l'existence de nombreuses tombes anonymes et d'anciens élèves survivants témoignent des sévices qu'ils ont subis.

Avec Nickel Boys, Colson Whitehead tire une fiction de ces événements pour rendre hommage à ces adolescents martyrisés durant les terribles années de la ségrégation raciale. Elwood Curtis, son personnage principal, aurait à mon avis tout à fait sa place aux côtés de Jem et Scout, Tom et Huckleberry, ces jeunes héros éternels de la littérature américaine. Comme ses prédécesseurs, Elwood offre un puissant miroir à notre société et laisse entrevoir la possibilité d'une révolution en marche. En incarnant une certaine forme d'idéal et d'espoir, il nous émeut et nous touche profondément. Elwood, de par son innocence presque immaculée et sa soif de justice, ne déparierait pas non plus dans un roman de Dickens. C'est un garçon intelligent et curieux, et un lecteur avide et passionné. Malgré son jeune âge, il a une vraie conscience politique et écoute presque religieusement les discours enregistrés de Martin Luther King. C'est un garçon de l'après Brown v. Board of Education, un arrêt qui a déclaré la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans les écoles publiques. Il voit donc de nouvelles possibilités s'ouvrir à lui, l'université lui tend les bras. Elwood est clairement promis à un brillant avenir. Mais le jeune garçon voit son destin brisé par une terrible erreur judiciaire.



Il est envoyé à la Nickel Academy, une maison de redressement où règne la terreur. Une institution que l'auteur met en scène comme un véritable microcosme métaphorique de l'Amérique raciste et ségrégationniste. Elwood est alors confronté à plusieurs types de violence, de la brutalité la plus abjecte à la corruption "ordinaire". Brimades, punitions pour "l'exemple", mises au supplice sont autant d'épreuves qu'ils doit surmonter. Les idéaux d'Elwood sont alors mis à rude épreuve. Les propos résolument optimistes et pacifistes de Martin Luther King, qui ont bercé son enfance et construit son éducation, lui apparaissent soudain dérisoires. Heureusement son amitié avec Turner, un autre pensionnaire, permet d’adoucir un peu sa peine. Turner est aussi cynique qu’Elwood est sensible et idéaliste. Tous deux semblent représenter les deux faces d’une même médaille. 
Colson Whitehead a construit un roman au calme clairvoyant et lucide, dénué de tout sentimentalisme mais porté par une émotion d'autant plus forte qu'elle ne s'embarrasse d'aucun artifice. L'auteur est un maître conteur, capable de dépeindre la violence tout en mettant à distance le pathos et de distiller des petites pointes de tragique pour maintenir un suspens qui étreint le lecteur de la première à la dernière page. Un roman puissant et essentiel.

Le roman est sorti il y a quelques jours chez Albin Michel.

@Emjy
Merci pour cette belle présentation

Ce livre m'attire, surtout que je le vois un peu partout avec Underground Railroad que je n'ai pas (encore) lu.
J'ai juste un peu peur qu'il soit trop violent, est ce que c'est le cas ? Ton avis semble indiquer que cela ne tombe pas dans le voyeurisme/ le glauque.

Merci Diana !

Alors pour répondre à ta question, je dirais que c’est un roman assez éprouvant à lire (Colson Whitehead n’édulcore son sujet à aucun moment) mais en même temps, il ne tombe jamais dans la violence gratuite ou trop graphique.

Le roman sort en poche le 5 janvier.

Super ! J'espère que ceux qui n'ont pas encore lu ce roman se laisseront tenter 

J'ai trouvé ce livre très bon. Le propos est intéressant et le "format court" a l'avantage de ne pas trop plombé le moral... J'ai aimé le style d'écriture, la narration sur différents espaces temps et les personnages principaux sont très attachants. Cela faisait un moment que je souhaitais découvrir cet auteur et je suis ravie de l'avoir découvert avec celui-ci.