Comme je vous le disais dans le topic consacré à son roman
La Seconde vie de Jane Austen, une « austenerie » des plus réjouissantes publiée chez Le Nouvel Attila au printemps dernier (voir ici
), la romancière anglaise (bilingue !) Mary Dollinger a eu la gentillesse de répondre à mes questions sur son travail, ses inspirations ou encore son rapport à Jane Austen.
Voici le compte-rendu de notre petit « entretien » :
1) Comment avez-vous découvert Jane Austen ? Avez vous un roman préféré ? Et une adaptation télé ou ciné préférée ?C’est très banalement que j’ai découvert Jane Austen à 15 ans, guidée par une professeure charismatique qui a eu l’excellente idée d’offrir
Orgueil et Préjugés à ses élèves en première lecture. Elle nous assurait qu’il n’y avait pas un mot, pas une virgule, à enlever ou à changer et je suis de son avis. Il reste mon roman préféré et la version de la BBC (1995) de ce même roman est de loin mon adaptation favorite. L’attention aux détails est remarquable ainsi que les deux acteurs principaux Colin Firth and Jennifer Ehle.
2) Comment l’idée de mettre en scène Jane Austen en France et à notre époque vous est venue ? Comment êtes-vous venue à travailler avec Le Nouvel Attila ?Lorsque j’écris, j’ai rarement un plan. Je venais de terminer
Orgueil et Préjugés, (Je ne compte pas le nombre de fois que je l’ai lu,) et j’ai imaginé Jane Austen « as an agony aunt » répondant aux sollicitations des lecteurs/trices, mal dans leur peau, sans doute à cause de sa réputation de tante idéale, que je déteste. Cela m’a amusé, et j’ai pensé que de la mettre en scène au 21e siècle serait intéressant. Pour ce faire il fallait lire les 6 romans phares en français, (pas facile) car j’avais envie d’emprunter des passages, de les intégrer dans ma prose que j’espérais le plus proche possible de l’esprit de Jane Austen. Quant à ma collaboration avec le Nouvel Attila, c’est tout simplement en envoyant un manuscrit à Benoît Virot qui a eu la bonne idée de l’accepter ! Je commence à connaître un peu le monde de l‘édition et je peux vous assurer qu’il est un éditeur d’exception.
3) Pourquoi avez-vous fait le choix d’écrire ce roman en français ? (J’ai d’ailleurs été bluffée par l’élégance de votre écriture) Aimeriez-vous le voir publié en anglais un jour ?Je n’ai jamais écrit autrement qu’en français. Ce n’était pas un choix, mais une obligation. J’aimerais beaucoup une traduction anglaise, mais les médias, très présents dans la version française, sont inconnus outre-manche et je crains que cela soit un problème.
4) Quel est votre rapport à la France, à la langue et à la culture françaises ?Je vais essayer de vous donner la version courte car c’est un sujet sur lequel je suis intarissable. J’ai découvert la France à l’âge de 16 ans. Un véritable coup de foudre pour la France, les Français et pour leur langue. À partir de ce moment, je suis venue en France tous les ans, parfois plusieurs fois. À l’époque il fallait une journée pour aller de ma campagne anglaise à ma destination française, l’avion étant trop cher pour mon budget d’étudiante. Ce coup de foudre s’est achevé, logiquement, par une maîtrise de français et un mari français. Je suis en quelque sorte en travaux pratiques à perpétuité. Je ne me lasse pas de la beauté de la langue française, sa musique, sa subtilité et son élégance.
5) Vous avez écrit sur Jane Austen et avant ça, sur Virginia Woolf. Y a t il un autre auteur (homme ou femme) auquel vous aimeriez consacrer un livre ?Pour l’instant je n’ai pas encore une réponse à cette question, mais j’y songe constamment ! Virginia Wolf et Jane Austen m’ont profondément marquée : pour la première c’est le personnage et non pas l’œuvre, pour la deuxième, c’est l’inverse. Il me sera difficile de trouver une interaction aussi forte. Mais j’y travaille !
6) Quels sont pour vous les plus belles qualités de Jane Austen ? Comment qualifieriez vous son humour et son ironie ?Cette question est particulièrement difficile car on a tant écrit sur l’œuvre de Jane Austen. Beaucoup de grandes plumes s’y sont penchées, alors je vais avancer prudemment en citant, tout d’abord la romancière elle-même. « Je n’ai besoin que de voir vivre deux ou trois familles dans une petite ville. Je les laisse s’aimer, se détester, se tromper, se supporter et le tour est joué ! » Cette fausse simplicité est la grande force de Jane Austen. Elle est soutenue par un sens aigu d’observation où l’humour est rarement absent. Cet humour dont on parle tant a la légèreté d’une plume, mais une plume dévastatrice : « Mrs Allen qui, étant donné le vide de son esprit et son incapacité à penser, ne parlait jamais beaucoup, mais ne pouvait jamais non plus rester tout à fait silencieuse. » Cette citation de
Northanger Abbey résume cet humour ciselé, teinté d’ironie qui parsème les pages de son œuvre et nous rassure sur le caractère bien trempé de l’auteur.
7) Pensez-vous que Jane Austen est sous estimée et trop vue comme un auteur sentimental et romantique ?Il serait faux de nier le romantisme de Jane Austen et le happy end inévitable de chacun de ses six romans phares. Il est évident aussi, qu’en débutant un de ses romans on entrevoit déjà la fin. Mais, Jane Austen nous offre un romantisme très particulier où la bonne société du début du dix-huitième s’étale sous nos yeux avec ses failles et ses contraintes. La position de la femme dans ce monde étroit, est analysée sans concessions. À propos du mariage, n’écrit-elle pas dans
Northanger Abbey :« L’homme a le pouvoir de choisir et la femme seulement celui de refuser. » L’importance de l’argent est omniprésente. « Dix milles livres de rente ! » s’exclame Mrs Bennet en apprenant les fiançailles de sa fille Elizabeth avec Fitzwilliam Darcy. Le monde qu’elle décrit est le sien. Si elle offre à ses héroïnes un destin heureux peut-être est-il une compensation inconsciente pour celui qui n’a pas été le sien où le manque de fortune l’a condamnée au rôle de tante célibataire bien aimée. La façon magistrale dont elle manie la langue anglaise, son sens d’observation et son humour si particulier dont nous avons tant parlé, lui assurent une place au firmament des écrivains, et pas uniquement ceux ou celles du dix-neuvième siècle.
8 ) Quels sont les héroïnes et héros de Jane Austen auxquels vous êtes le plus attachée ?J’étais parfois un peu longue, cette réponse sera très courte et n’étonnera personne : Elizabeth Bennet and Mr Darcy.
9) A part Jane Austen, quels sont vos auteurs préférés (classiques ou contemporains) ?Mes auteurs préférés dans le plus grand désordre : Maupassant, Flaubert, Kressmann Taylor, Thackeray, Harper Lee, Baudelaire, Pierre Lemaître, Trollope, Lois Lowry, Patricia Highsmith, Verlaine, Sue Townsend, Kate Atkinson, Lewis Carol, John, Irving, Oscar Wilde, Stendhal, Scott Fitzgerald, Sarah Waters… Cette liste est loin d’être exhaustive et j’ai sans doute oublié bien des noms.
10) Question pour celles qui ont déjà lu le roman : - Spoiler:
pourquoi avoir fait le choix de montrer Cassandra sous un jour peu flatteur ? (J’y ai vu pour ma part beaucoup d’ironie - est le cas ?)Merci de m’avoir posé cette question car je sais que certains de mes lecteurs/trices ont été surpris par le traitement réservé à Cassandra la sœur et confidente bien aimée. Il s’agissait d’une petite vengeance personnelle. À la mort de Jane Austen, Cassandra était en possession d’environ 3000 lettres de Jane Austen, principalement écrites à elle-même. Cassandra les a lues et a pris la malheureuse initiative de brûler la plupart. Seulement 160 lettres ont échappé à la censure. Notre vision de la grande romancière est forcément tronquée et Cassandra est la fautive. Cette image lisse que laisse leur correspondance et qui frise la perfection n’est peut-être pas tout à fait la vraie Jane Austen. Pour Virginia Wolf, Cassandra ne nous en laisse que ce qui est « de peu d’importance, » et c’est bien dommage. Jane Austen lui en veut terriblement. Moi aussi. Jane Austen joins me in thanking you, emjy, so very much, for this fascinating experience.