Adapté au cinéma en 2000, le roman
The Beach ou
La Plage est un véritable concentré d’action et de sensations qui fait voyager et ne vous laissera pas indifférent à l’arrivée
Richard, un jeune baroudeur anglais, vient à peine d’arriver à Bangkok en Thaïlande quand il rencontre dans l’auberge où il loge un certain Mr. Duck, qui radote continuellement au sujet d’une plage. Il finit par laisser à Richard une carte faite à la main, avant de se donner la mort. Curieux, en quête d’aventure ou tout simplement pour avoir quelque chose à faire, Richard part à la recherche de cette plage mystérieuse, accompagné d’un couple de français qu’il vient de rencontrer, Etienne et Françoise. Ils embarquent dans un périple semé d’embûches, mais n’ont pas froid aux yeux et finissent par atteindre la plage convoitée, cachée dans lagon sur une île quasi impénétrable. Ils rencontrent là toute une communauté, vivant en autarcie, isolés du reste du monde, dans ce qui ressemble bien à un petit coin de paradis. Très rapidement, les trois voyageurs s’intègrent complètement à la communauté et y mènent une existence paisible. Mais petit à petit, des fissures apparaissent dans ce tableau idyllique. Entre les tensions au sein du groupe, les questions d’éthique qui surgissent, les efforts toujours plus importants mis en place pour maintenir le secret de l’existence de la plage et empêcher le reste du monde de les atteindre, et la déconnexion tellement complète avec la réalité que la raison commence à défaillir… est-ce que l’idéal de la vie sur la plage peut durer ?
L’intrigue est terriblement prenante. Alex Garland ne laisse pas le temps à son lecteur de s’ennuyer, et l’emporte de péripéties en péripéties, en laissant ici et là un petit goût d’inachevé, des fils qui restent en suspens et ouvrent tout un tas de questionnements qui maintiennent accroché aux pages pour en découvrir la conclusion.
Mais au-delà du récit d’aventures qui tient en halène, ce roman a plusieurs couches qui le font fonctionner à plusieurs niveaux. Il y a par exemple le fil conducteur de la quête insatiable de sensations de Richard. Il poursuit sans cesse la prochaine aventure, devant aller toujours plus loin pour ressentir l’adrénaline à laquelle il est accro. Un thème qui fait s’interroger sur le bien fondé de courir après tout ce qui peut faire vibrer, et surtout des conséquences quand il faut toujours qu’il y ait surenchère. A un autre niveau, la culture populaire, en particulier les films et les jeux vidéos des années 90, forment un véritable tissus de parallèles et de métaphores qui donnent forme à l’intrigue. C’est littéralement le filtre à travers lequel Richard analyse ce qui l’entoure. Alex Garland a une manière très ingénieuse de montrer comment la culture qu’on a absorbé depuis son enfance façonne notre vision du monde. Et puis, de manière peut-être plus large, on est invité à s’interroger sur la nature du tourisme : tous ces voyageurs en quête du paradis isolé, préservé du tourisme de masse, sont passés par tous les endroits devenus prisés, allant à chaque fois ailleurs quand leur lieu de prédilection devenait trop fréquenté, jusqu’à arriver sur la "plage", l’ultime lieu secret. Sauf qu’ils ne sont au final eux-mêmes que ce qu’ils cherchent à fuir… des touristes qui veulent échapper à leur propre existence. Et puis encore, les parallèles et effets de miroirs entre les personnages offrent toutes sortes de possibilités d’interprétation. Par exemple, entre le trio Richard-Etienne-Françoise, et le trio initial qui a fondé la communauté de la "plage", Daffy-Bugs-Sal, les échos sont nombreux et subtils. Et enfin, les références et autre clins d’œil à la littérature enrichissent encore davantage la compréhension que l’on peut avoir des événements : il y a bien sûr le thème de l’île déserte tel que rencontré dans
Robinson Crusoe, ou encore
Lord of the Flies, ou bien le motif récurrent de la culpabilité comme un poids que l’on porte à travers des images empreintées à
The Rhyme of the Ancient Mariner (et son albatros autour du cou), ou celui du cauchemar qui découle quand l’Homme trépasse sur un territoire sauvage avec
Heart of Darkness (qui a aussi inspiré le film
Apocalypse Now dont les références sont aussi nombreuses), et j’en passe.
Attention que si ce roman paraît faire rêver dans un premier temps, il a une dimension plutôt sinistre. Et au fur-et-à-mesure qu’on progresse dans l’intrigue, des événements de plus en plus sombres surviennent, et la montée en escalade est assez vertigineuse
Il vaut mieux être prévenu.
Tout ensemble, ce roman est particulièrement riche et intelligent. Il vous prendra aux tripes pendant la lecture, et continuera de poursuivre vos pensées après l’avoir refermé. Une expérience que je recommande !