L'Opéra de la Lune, de Bi Feiyu (et autres romans)

Voici un autre roman chinois que je viens de terminer dans le cadre de l'animation "Autour du monde", et dont j'ai plutôt bien apprécié la lecture.


Ce livre met en scène Xiao Yanqiu, une actrice de l'opéra de Pékin, qui se voit proposer de remonter sur scène vingt ans après avoir mis fin à sa carrière.

Dans ce roman, l'auteur, Bi Feiyu, aborde deux thèmes :

- le personnage de l'actrice, et le vertige qu'elle éprouve au niveau de l'identité par rapport au personnage qu'elle doit incarner. Xiao Yanqiu est en effet spécialisée dans les rôles de qingyi, c'est-à-dire de femmes vertueuses, qui ont leur manière bien à elle de chanter et d'évoluer sur scène ; elle s'est spécialisée dans le rôle de Chang'E, jeune femme légendaire dont l'opéra L'Envol vers la Lune retrace l'histoire. Chang'E est connue pour avoir avalé seule la pilule d'immortalité qu'elle aurait dû partager avec son époux, et pour s'être envolée vers la Lune, où elle erre désormais, seule. Dans ce rôle, Xiao Yanqiu excelle et fascine le public. Elle est Chang'E. Mais un geste malheureux va la priver de sa carrière pendant vingt ans, qu'elle va consacrer à former d'autres apprenties chanteuses.

- le 2ème thème, c'est le portrait en filigrane de la société chinoise actuelle. C'est grâce à un riche PDG que la carrière de Xioa Yanqiu va pouvoir être relancée, et le traitement de ce personnage suggère une critique discrète d'une société tout entière vouée au capitalisme et au culte de l'argent. Le portrait qui est dressé de Xiao Yanqiu et de sa famille permet également de mieux cerner la société chinoise et la place de la femme dans celle-ci. Bien que la période de la Révolution culturelle soit révolue, on ne peut pas dire que la société chinoise ait vraiment un idéal à partager, ce qui explique la passion de l'héroïne pour l'opéra, qui la transporte dans un ailleurs où elle se révèle dans toute la vérité de son être... au risque de sombrer dans la folie. De ce point de vue, la scène de maquillage juste avant la représentation, qui permet la transfiguration de l'héroïne, est tout à fait significative.

En bref, un roman court et prenant, écrit de façon incisive, qui permet de mieux appréhender l'opéra de Pékin. Grâces soient rendues au travail du traducteur, qui livre en une préface aussi courte qu'efficace, ce qu'il faut savoir de l'opéra chinois pour ne pas passer à côté de ce livre.

J'ai poursuivi ma découverte de cet auteur cet été avec la lecture du livre Les Aveugles :

Citation :

Bi Feiyu a fait un pari audacieux, qui donne un livre totalement singulier. Il a voulu raconter aux voyants que nous sommes une manière de voir le monde que nous n'imaginons même pas, celle des non-voyants. Voici donc l'histoire d'une confrérie de masseurs aveugles spécialisés dans les massages thérapeutiques relevant de la médecine traditionnelle chinoise. Une petite communauté dont nous découvrons la vie et les coutumes, comment ils travaillent, tombent amoureux, espèrent en un avenir meilleur, dans des récits vifs et savoureux, où ils se montrent souvent drôles, parfois lyriques, cupides, touchants, si semblables à nous et pourtant d'une indéfinissable étrangeté.
Bi Feiyu a songé à ce livre pendant vingt ans avant d'entreprendre sa rédaction, cherchant dans la fiction les moyens de rendre justice aux non-voyants qui l'ont inspiré et l'ont impressionné par leur recherche du bonheur, souvent plus joyeuse et volontaire, dit-il, que celle des voyants.

Ce livre a représenté pour moi un gros coup de cœur.   

J'ai adoré découvrir chacun des personnages qui travaille dans ce centre de tuina (= massage chinois) situé à Nankin : du docteur Wang, qui est une bonne pâte, un peu bourru, à Sha Fuming, l'un des directeurs du centre, qui néglige complètement sa propre sante ; de Du Hong, une beauté qui masse à peine convenablement, mais qui aurait pu devenir une grande pianiste, à Xiao Ma, devenu aveugle suite à un accident, et qui entretient un rapport particulier au temps, et beaucoup d'autres...

Le livre est construit en chapitres centrés sur un ou plusieurs masseurs / masseuses qui vivent et travaillent au centre ; cette construction simple n'empêche pas l'élaboration de liens complexes entre ces personnages qui s'efforcent de vivre dignement dans une société qui peine à les reconnaître comme des citoyens à part entière. On rit et on est ému par ces figures pourvues d'une belle densité humaine...

J'avais trouvé L'Opéra de la lune intéressant, mais Les Aveugles est un très beau livre, à la narration riche en rebondissements. Il contient beaucoup de réflexions fort justes, jamais lourdement didactiques, sur la particularité des sensations de ceux qui n'ont pas la faculté de voir physiquement, et qui se trouvent du coup dotés d'une sensibilité particulière. Il est également d'une grande subtilité psychologique.

C'est vraiment une belle lecture, qui me donne envie de découvrir d'autres livres de cet auteur.  

Popila, par curiosité je me note l'auteur surtout pour Les Aveugles!