Un an après (il n'est jamais trop tard...) je me souviens que j'ai oublié de poster mon avis. Bref, le voici :
Je trouve la photographie particulièrement réussie, d'ailleurs Guy Green a été le premier directeur de la photographie anglais à recevoir un Academy Award, et c'était justement pour ce film. Non seulement elle est très belle mais le noir et blanc permet vraiment de créer une atmosphère particulière, très forte, qui je trouve manque dans les adaptations plus récentes en couleur (Évidemment, il faut adhérer au côté un peu... "théâtral" des vieux films en noir et blanc). Par exemple, on nous répète tellement que Miss Havisham « n’a plus revu la lumière du jour » qu’il me semblait logique que Satis House soit à moitié plongée dans le noir avec uniquement des sources de lumière artificielles, comme c'est le cas ici (les épais rideaux ont d'ailleurs leur importance dans le film), et je trouve que dans les autres adaptations que j'ai pu voir elle était vraiment trop lumineuse (même si la lumière est blafarde), ça ruine tout.
Concernant les personnages : j'aime beaucoup
Joe dans ce film, je le trouve très fidèle au personnage du livre, et incroyablement attachant (la scène où il rend visite à Pip à Londres... J'ai toujours envie de lui faire un câlin pour le consoler !).
Pip est joué par John Mills, qui est un peu vieux pour le rôle (pas loin de quarante ans à l'époque, tout de même...), mais qui nous le fait vite oublier parce que je trouve son visage très expressif, et son jeu juste (et puis j'aime bien sa voix, ce qui est important vu qu'il fait la narration).
Herbert est un personnage un peu niais dans le roman mais que je trouve au final rarement raté dans les adaptations ; néanmoins ici on a droit à un bonus de taille puisqu'il s'agit du tout jeune Alec Guiness (immédiatement identifiable à ses oreilles - je plaisante !) !
De même,
Estella enfant est jouée par Jean Simmons, alors âgée de 17 ans (à noter, pour l'anecdote, qu'elle jouera Miss Havisham dans une version télévisée des Grandes espérances en 89.) C'est une actrice sur laquelle j'ai un avis un peu mitigé (je l'avais trouvée exécrable dans Un si doux visage de Preminger), mais en l’occurrence, là, elle est parfaite dans le rôle, elle avait une façon de marcher le nez en l’air et de vous regarder comme si vous étiez un moucheron assez incroyable.
Concernant Estella adulte, il y a quelque chose qui me gêne dans les deux adaptations les plus récentes, c'est ce besoin de rajouter de la psychologie de comptoir dans la relation Pip/Estella, en fait de tenter de rendre Estella moins mystérieuse/stoïque
- Spoiler:
en nous laissant entendre qu'au fond d'elle même elle aime Pip/est malheureuse ou que sais-je...
C'est je crois ce que j'apprécie chez Valérie Hobson (vue par ailleurs dans Noblesse oblige) : elle a quelque chose de très réservé finalement, qui lui donne l'air sincère, presque innocente, dans son indifférence (malgré une vague affection pour Pip qui se traduit simplement par le fait qu'elle ne cherche justement pas à le séduire) sans pour autant nous la rendre odieuse... (C'est difficile à expliquer). En tout cas on n'essaie pas de nous forcer à nous attacher à elle et à la prendre artificiellement en pitié.
Pour ce qui est du morceau de bravoure que constitue
Miss Havisham… Eh bien, je suppose que Miss Havisham n’est pas dépeinte dans le livre exactement de la façon dont Martita Hunt la joue, c’est-à-dire comme un personnage finalement plutôt majestueux : elle est décrite comme non seulement physiquement affaiblie (les yeux cernés, squelettique et adoptant une position voûtée), mais également comme parlant d‘une voix très basse, presque, j‘imagine, un murmure, "comme sous l’influence d’un engourdissement mortel". ("Au total, elle avait l’air de s’être effondrée, corps et âme, intérieur et extérieur, sous le poids d’un coup accablant.") ; surtout elle est plus méchante, je trouve, dans son ton voire dans ses propos, parfois franchement agressifs. Maintenant, Charlotte Rampling (dans la version de la BBC datant de 1999) a cette certaine qualité de cruauté, et cette espèce de joie triomphante assez vicieuse qui s’insinue dans ce qu’elle dit et globalement, elle rend bien le personnage… (Je lui reproche juste de ne pas avoir l’air assez dérangée, disons. Et également l’aspect physique : cheveux non blanchis, pas de voile dans les cheveux, robe sans doute historiquement exacte (?) mais qui ne frappe pas comme étant une tenue de mariée (d‘ailleurs elle en change à un moment)… En fait, elle fait trop vigoureuse et surtout soignée pour avoir une apparence frappante en accord avec la description du livre.) Mais ce qui est en tout cas brillamment réussi dans le film de Lean, c'est cette apparence vraiment mémorable - je crois que c'est la miss Havisham qui me marquera le plus, en fait (pour info, je n'avais pas aimé Helena Bonham Carter, cabotinant à mort : l'actrice avait anéanti le rôle, je ne voyais qu’elle EN TRAIN DE JOUER. Et je reste assez partagée quant à l'interprétation évanescente de Gillian Anderson.)
Il y a quelques scènes légères, on ne rit pas à gorge déployée mais on sourit, et elles sont les bienvenues (les scènes de boxe avec Herbert, celle de l'ouverture de la porte, qui d'ailleurs est dans le livre, le père gâteux de Wemmick, sans compter la vision du premier costume de "gentleman" de Pip, qui reste particulièrement savoureuse à mes yeux.) : trop souvent les adaptations ne conservent de l'humour Dickensien que la caricature, avec les personnages comme Pumblechook ou le sacristain qui a l'habitude de déclamer des citations théâtrales, qui peuvent devenir rapidement lourds à l'écran.
Alors évidemment, l'intrigue est simplifiée (en même temps adapter Dickens ne doit pas être une sinécure, il y a toujours trop de personnages secondaires...), mais comme ni Orlick, ni Startop, ni même, je l'avoue, Biddy, ne m'ont jamais passionnée, ça me convient très bien... Finalement le plus surprenant est qu'on entrevoit à peine
Drummle, qui devient presque un obstacle tout théorique. Dans l'ensemble, tout de même, je trouve qu'on a conservé la substantifique moelle du roman.
Bien qu'il y ait deux fins alternatives au roman, le film n'en suit réellement aucune, disons plutôt qu'il effectue des variations sur l'une d'elle dont il conserve l'idée générale (mais là encore j'en suis satisfaite, parce qu'on a droit à une scène particulièrement spectaculaire pour laquelle je confesse avoir un faible.).
Bref, pour moi c'est une évidence, il faut voir ce film (et tant pis si je ne suis pas objective sur ce point) !