The Night Circus / Le Cirque des Rêves, d'Erin Morgenstern

L’histoire débute en 1873, lorsque Prospero l’Enchanteur – de son vrai nom Hector Bowen – se voit confier la garde de Celia, sa fille de cinq ans. S’apercevant que l’enfant a hérité de ses dons de magicien, il décide de relancer un jeu auquel il s’adonne depuis des siècles avec un autre enchanteur, le mystérieux Mr A.H : un jeu consistant à faire s’opposer leurs élèves respectifs dans une sorte de duel de magie. Celia sera donc la championne de son père, qui confie la mise en scène du défi à Chandresh Christophe Lefèvre, un producteur de spectacles londonien. De son côté, A.H adopte un orphelin, Marco Alisdair, et entreprend de lui enseigner la magie, avant de le faire engager, une fois adolescent, en tant qu’assistant de Chandresh.



Le match entre Marco et Celia, désormais illusionniste au Cirque des Rêves (en français dans le texte), démarre officiellement à l’ouverture de ce dernier, en 1886 : si Marco identifie dès le départ sa concurrente, il faudra en revanche plusieurs années à Celia avant de démasquer le jeune homme. Il ne s’agit pas d’un affrontement direct (ce qui serait de toute façon impossible puisque Marco reste basé à Londres et ne voyage donc pas avec le Cirque) mais d’une sorte de concours de réalisations magiques qui s’étalera sur quinze ans, chacun d’entre eux s’évertuant à surpasser l’autre en créant des attractions plus sublimes les unes que les autres. En secret, car la plupart des gens qui gravitent autour d’eux, qu’ils soient membres du Cirque ou qu’ils aient contribué à sa conception, ignorent tout de la compétition. Certains d’entre eux, se rendant compte de la particularité du Cirque (sans parler du fait que tous ceux qui y sont liés ne vieillissent plus), finiront cependant par se poser des questions et par découvrir sa véritable fonction.



Naturellement, Celia et Marco, liés l’un à l’autre depuis l’enfance par l’engagement pris pour eux, finissent par tomber amoureux ; et naturellement, cet amour complique singulièrement les choses, étant donné que le concours ne peut s’arrêter que lorsqu’un vainqueur sera désigné. Or durant la plus grande partie du roman, Celia et Marco (et le lecteur avec eux) ignorent en quoi consiste exactement cette victoire ; et jusqu’à la fin, on n’a aucune idée de comment tout ça va bien pouvoir se terminer, si Celia et Marco vont pouvoir être ensemble, si ça va bien ou mal finir. Car tout n’est pas féérique dans The Night Circus, il y a aussi des notes sombres, ce qui fait qu’on doute réellement de la nature de l’issue jusqu’au bout.



En plus de ceux déjà cités, il y a beaucoup de personnages essentiels dans le roman : Tsukiko, l’énigmatique contorsionniste ; Isobel, la diseuse de bonne aventure ; Ethan Barris, l’ingénieur qui a conçu le Cirque ; les sœurs Burgess qui se sont occupées de l’aspect artistique ; Herr Friedrick Thiessen, engagé pour fabriquer la fabuleuse horloge qui orne l’entrée du Cirque et qui lancera le mouvement des rêveurs – nom donné aux admirateurs inconditionnels du Cirque – dont il deviendra le chef de file ; Bailey, un jeune américain qui tombe sous le charme du Cirque lorsqu’il a dix ans ; Poppet et Widget, les adorables sœur et frère jumeaux nés la nuit même de l’inauguration du Cirque (ils sont d’ailleurs les seuls à y vieillir).



De nombreux protagonistes donc, tous importants et (presque) tous attachants, mais au fond, un seul véritable personnage principal : le Cirque des Rêves. Tout part de lui et tout revient à lui. La moindre action des personnages est liée au Cirque, que ce soit avant, pendant et après la création de ce dernier ; et leurs destins respectifs y sont étroitement rattachés. Même la structure du récit est calquée sur celle du Cirque, ce dédale sans fin d’allées serpentant entre les tentes parmi lesquelles les gens vont et viennent inlassablement : la narration oscille en permanence entre 1873 et 1902 et alterne les points de vue des différents protagonistes, ce qui donne une impression d’agréable désorientation semblable à celle que ressentent souvent les visiteurs du Cirque – sensation accentuée par le fait que la localisation de ce dernier ne cesse de changer, passant d’un continent à un autre en un clin d’œil, ainsi que par la brièveté des chapitres.



Une histoire ensorcelante et originale, des personnages attachants, un décor hypnotisant : rien que ces éléments auraient suffi à faire de The Night Circus un roman extraordinaire. Mais avec la plume absolument sublime de son auteur, il en devient carrément – du moins à mes yeux – un vrai petit chef-d’œuvre. Comment vous dire ? Je suis tout simplement tombée en amour avec cette magnifique prose, travaillée mais non maniérée, servie par un choix de mots réfléchi mais fluide, sertie de mille détails enchantés et enchanteurs – en bref, un véritable régal à lire. L’écriture d’Erin Morgenstern est extrêmement visuelle et le lecteur n’a aucun mal à s’imaginer en train de se promener au milieu des tentes rayées de blanc et noir, de s’émerveiller à chaque nouvelle performance, de se balader dans le Jardin de Glace ou le Labyrinthe de Nuages, d’admirer les superbes statues vivantes, de humer les effluves de caramel qui caractérisent le Cirque et de déguster les délicieuses friandises que l’on y vend ; il devient presque l’un des rêveurs, ces fanatiques du Cirque qui suivent celui-ci partout où ils le peuvent et qui arborent une écharpe rouge en guise de signe distinctif.



The Night Circus ? A lire. A lire absolument !