Une fois n'est pas coutume, j'ouvre un topic à un classique allemand, qui a récemment été publié aux éditions José Corti : une pépite
Deviens celle que tu es est l'oeuvre de Hedwig Dohm, une pionnière du féminisme (1831-1919), pour la première fois traduite en français.
Hedwig Rohm a lutté pour le droit de vote des femmes et l'accès à l'éducation pour les jeunes filles en Allemagne.
A travers ses articles, essais et romans, elle a critiqué avec un esprit acerbe les inégalités sociales, politiques et surtout familiales inhérentes aux relations entre les sexes.
Dans le court mais intense
Deviens celle que tu es, elle évoque le destin d'Agnes Schmidt, une femme issue de la bourgeoisie berlinoise qui a toujours vécu pour sa famille. Son mari vient de décéder et toute sa vie est bouleversée. Elle doit s'efforcer de trouver un nouveau sens à son existence et surtout une identité. Agnes est une femme mais son statut est limité à celui d'une veuve vieillissante. A travers un portrait sensible et bouleversant, la romancière donne à réfléchir sur les restrictions imposées aux femmes d'un certain âge, négligées par la société, et même par leur propre famille.
Hedwig Rohm rend hommage dans cette fiction à la force de caractère de ces héroïnes du quotidien. Elle lance un appel déterminé au courage et à l'abnégation des femmes pour qu'elles résistent aux contraintes sociales, intellectuelles et psychologiques imposées par le patriarcat.
Ce roman brille autant par l'intensité de son message que sa construction narrative.
A travers la mise en abîme d'un journal intime, le récit nous révèle le destin d'une femme qui a tout fait pour se conformer aux attentes sociales réservées à son sexe avant de prendre conscience de l'absurdité de sa condition et de briser ses chaînes.
Je dois avouer qu'à la lecture de ce texte, j'ai eu un peu de mal à croire qu'il ait été publié à la fin du XIXème siècle. L'écriture mais aussi les pensées et attitudes des personnages, à part dans quelques rares passages, s'inscrivent encore très bien dans la société contemporaine. J'ai recopié une quantité d'extraits dans mon carnet.
Le roman de Hedwig Dohm est le récit poignant, exaltant, ardent de la quête éperdue de liberté d'une femme qui se redécouvre.
Enfermée dans des clichés, soumise à des impératifs et diktats sociaux, elle souhaite avant tout s'émanciper en tant qu'individu. J'ai été très touchée par sa prise de conscience. Enfin, elle réalise qu'elle a la liberté de lire, de s'instruire, de voyager, de s'ouvrir au monde comme elle l'a toujours rêvé mais cette prise de conscience ne se fait pas sans heurts ...
Deviens celle que tu es est une charge féministe sous la forme d'une très belle oeuvre littéraire, émouvante et inspirante. Son écriture est gracieuse et vivante.
Un extrait :
- Citation :
- « La folie - est-ce autre chose que d'être arrêté par les idées, les visions, qui nous viennent et repartent, dont nous ne savons ni l'origine ni le but, et sur lesquelles nous n'avons aucun pouvoir ? Si c'est cela, la folie, alors j'ai été folle pendant plus de cinquante ans. Je me suis toujours déterminée par rapport aux volontés et aux opinions des autres. Selon la loi de la gravité, la pomme peut tomber jusqu'au centre de la terre si elle ne rencontre pas de résistance. De même, c'est une sorte de loi naturelle qui fait que la volonté et la puissance des autres trouvent leurs seules limites en notre résistance.
J'étais un mécanisme, que des puissances étrangères mettaient en mouvement. Et maintenant je combats pour me débarrasser de cette folie. Je combats pour ma volonté, pour mon «moi-même», pour mon « Je»."