Illyrian Spring a été publié chez Virago en 1935, puis épuisé pendant des années et réédité en 2012 par Daunt Books.
Il a rencontré un grand succès commercial au moment de sa publication et garde encore aujourd'hui une réputation de roman avant-gardiste et féministe.
Je l'ai lu (ou plutôt devrais-je dire dévoré) ces derniers jours et je dois dire qu'il m'a charmée pour une quantité de raisons. J'ai aimé sa richesse littéraire. Illyrian Spring est tout à la fois un portrait de femme, un roman d'amour, une comédie et un récit voire même un guide de voyage ! Il a un charme anglais très bohême et m'a rappelée, par bien des aspects,
Avril enchanté d'Elizabeth Von Arnim et
Chambre avec vue d'EM Forster. Il y est aussi question d'émancipation féminine, de rencontres, de voyage et de dépaysement comme sources d'épanouissement.
Comme les héroïnes d'
Avril enchanté et Lucy Honeychurch, Lady Grace Killmichael vient d'un milieu social aisé mais quelque peu étriqué et ressent le besoin d'élargir son horizon.
Même si elle est une peintre renommée qui expose ses toiles dans les galeries les plus renommées de Paris, Grace est mélancolique et traverse une période de remise en question. Son mari, Walter, un brillant économiste, ne semble plus beaucoup lui accorder de temps ni d'intérêt (trop occupé qu'il semble être par son travail et sa nouvelle collaboratrice) et ses enfants s'éloignent de plus en plus d'elle. Pire, elle a l'impression d'agacer au plus haut point Linnet, sa fille de 19 ans. Dépitée et attristée par ses relations familiales, Grace décide de prendre le large sans prévenir personne. Elle choisit d'embarquer pour Venise puis sur la côté dalmatienne dans le but de se ressourcer, de se concentrer sur sa peinture et de prendre de la distance avec Walter et Linnet.
Le récit de voyage de Grace n'est pas, à proprement parler, exotique (elle ne quitte pas l'Europe) mais au début des années 30, les coins reculés d'Italie, de Croatie ou de Yougoslavie qu'Ann Bridge décrit ont quand même quelque chose d'extraordinairement dépaysant.
A Torcello, elle rencontre Nicolas, un jeune homme féru d'art et de voyage mais déprimé et amer car sa famille lui interdit de poursuivre une carrière de peintre. Grace découvre rapidement le talent de Nicolas et surtout son immense désir de se vouer corps et âme à sa vocation, et décide de l'épauler. Leurs aventures et mésaventures sur les chemins escarpés et parfois isolés de leur périple, leurs discussions et échanges sur leurs passions communes, et leur indubitable affinité artistique les rapprochent de plus en plus. Leur connivence se développe à mesure que les jours filent et dépasse peu à peu la simple amitié ...
Même si j'ai été marquée par le portrait si sensible de son héroïne, ou l'évocation émouvante et réaliste de la relation entre elle et Nicolas, c'est l'extraordinaire sens de la description d'Ann Bridge qui m'aura le plus enthousiasmée.
La romancière sait indubitablement planter un décor. Rares sont les auteurs qui pour moi parviennent à incarner de manière aussi visuelle et esthétique les impressions et émotions de ses personnages. Si les descriptions des jardins, des ruines, des montagnes, des cours d'eau, des fleurs sauvages et des villages paisibles sont aussi inspirantes c'est parce qu'elles disent beaucoup, mais sans excès, de la sensibilité de Grace et de son cheminement intérieur. J'ai été captivée par le récit du voyage de Grace et Nicolas, au point parfois, de ne me laisser embarquer comme si j'étais à leurs côtés et non pas assise sur mon canapé ! Grace et Nicolas forme un duo improbable mais on ne peine jamais à croire à leurs personnages. Ils sont humains et remarquablement complexes.
Le roman évoque également, et avec une certaine pertinence, les relations parfois conflictuelles entre les générations et l'incompréhension qui en découle. Il donne aussi à réfléchir sur le statut de la femme mariée de cette époque, solitaire et délaissée, qui souffre parfois par manque d'amour-propre. En outre, la notion de liberté est traitée avec beaucoup de finesse.
Illyrian Spring invite aussi bien au voyage qu'à la rêverie. Il est typiquement anglais, dans la forme et le fond. Il n'est pas sans petits défauts mais son charme indéniable et la qualité de son écriture en font un roman assez irrésistible dans son genre.
Naturellement, je croise les doigts pour qu'il soit un jour à nouveau traduit en français !
- Citation :
- Married women so often become more an institution than a person – to their families a wife or a mother, to other people the wife or the mother of somebody else. Apart from her painting, Grace Kilmichael had been an institution for years. She didn’t mind it; she hadn’t really noticed it; but when Nicholas Humphries started treating her as a person, being interested in her as herself, ‘Lady K.’, and not as Nigel’s or Teddy’s or Linnet’s mother, or as the brilliant Sir Walter Kilmichael’s nice wife, she did notice it. She found it something quite new and rather delightful.