J'ouvre un topic à une comédie anglaise qui a quelque chose de très "whoopsy daisy"
Ce roman est un petit miraculé. Publié en 1924 en Angleterre et jamais réédité depuis, il est pour la première fois traduit en français au sein de la collection « Dans la bibliothèque de ... » des éditions Aux Feuillantines.
Ce titre (
The Author of Trixie en VO) figure sur les étagères du héros (et double de fiction de l’auteur) du tout premier roman de Nabobov, « La Vraie Vie de Sebastian Knight ». Une présence qui ne doit absolument rien au hasard et qui, comme bon nombre d’éléments narratifs de l’oeuvre de Nabokov, a une valeur signifiante au delà de ce que l’on peut imaginer.
Dans une postface écrite sous la forme d’une enquête littéraire captivante, le traducteur et directeur de la collection, Hervé Lavergne, nous explique de quelle manière ce texte a échappé à l’oubli et est arrivé jusqu’à lui.
Et c’est une trouvaille fort heureuse car il s’agit là d’un roman irrésistible !
Qui a écrit Trixie ? est l’oeuvre d’un excentrique anglais dans la plus noble acception du terme. Diplômé d’Oxford, fin esthète et intellectuel, William Caine était aussi un grand lecteur et admirateur de maîtres de la littérature satirique, tels que Thackeray ou Dickens.
Ce court roman met en scène, et avec un humour continu, un archidiacre qui a commis en secret un acte oh combien condamnable et irréparable : l’écriture d’un roman sentimental ! Pour l’avenir de sa carrière ecclésiastique (Monsieur aspire à l’épiscopat), il lui est tout à fait impossible de le publier sous sa véritable identité. Samson Roach (c’est son petit nom) se tourne alors vers le soupirant de sa fille Chloé pour endosser cette scandaleuse paternité. Dunkle, poète prétentieux, lui fait part de son mépris pour sa bluette ainsi que de quelques scrupules avant de finalement accepter le marché. Il faut dire que l’argent arrange bien les choses, et l’archidiacre n’en manque pas.
Dès sa publication, Trixie connaît un succès retentissant dans tout le pays, et permet à Dunkle, qui vient d’ailleurs d’épouser Chloé, de faire fortune.
Pour garder l'estime de la bonne société londonienne, l'archidiacre doit composer avec un gendre - et une fille - qui ne s'embarrassent ni de principes ni de moral pour garder leur train de vie dispendieux.
Mais possédé par le démon de l'écriture (un démon qui ressemble étrangement à un certain M. Hyde), l'archidiacre n'est décidément plus le parangon de vertu qu'il pensait être, et a de plus en plus de mal à taire « l'Artiste » en lui ...
L'intrigue se resserre à mesure que chacun essaie, tant bien que mal, d'être plus malin que l'autre.
Quelle joie que ce roman ait pu être miraculeusement exhumé !
Réjouissant, cynique et irrévérencieux de la première à la dernière ligne, ce texte est pour moi une des plus dignes représentations de l'humour anglais. Grâce à une écriture ciselée et une ironie acérée qui se dégustent page après page, William Caine nous brosse le portrait d'une société anglaise engoncée dans son hypocrisie. Tout le monde y passe ou presque: les poètes, les pères, les filles, les ministres, les détectives, les ecclésiastiques et peut-être avant tout les romanciers (dont William Caine était, évidemment).
Qui a écrit Trixie ? est un récit fantasque à souhait, qui prend son lecteur à rebrousse-poil et se moque du politiquement correct en revendiquant le droit de rire de tout et d'abord de soi mais surtout des puissants.
C'est aussi l'histoire d'une double narration, un roman dans un roman. Le procédé est utilisé avec la même dextérité que tout le reste et surtout la même excentricité toute britannique.
Délicieux !
Un portrait de William Caine :