Dans l'ensemble je l'ai plutôt bien aimé mais ça n'a pas été un coup de cœur.
Pour commencer, j'ai été déçue par le style. Je ne sais pas si la traduction est fautive dans mon cas (j'ai lu l'édition Archipoche), mais je l'ai trouvé maladroit et simpliste. Je dois avouer que j'ai été très étonnée, car j'avais adoré son style dans
Agnes Grey, que je trouvais léger et plein de finesse, or il s'agissait de son roman précédent, elle aurait donc dû s'améliorer entre-temps ou du moins rester au même niveau. Il y a par exemple pas mal de répétitions et de maladresses dans le choix des termes, ainsi que des coquilles (pour cela seul l'éditeur est fautif évidemment). Ce n'est pas non plus quelque chose de très choquant mais compte tenu de ce que j'en attendais, je n'ai pas pu m'empêcher d'être désappointée. De manière plus générale, je n'ai pas eu l'impression de lire un roman victorien, mais plutôt un roman historique contemporain et ce que je reproche à ces derniers c'est de manquer la plupart du temps de ce charme suranné qui me plaît tant dans la littérature victorienne.
L'autre point noir du roman ce sont les défauts des personnages. Et je parle des défauts d'un point de vue extérieur à l'histoire.
Tout d'abord, j'ai trouvé que les deux narrateurs n'étaient pas assez caractérisés dans leurs pensées et leurs tournures de phrases, les lettres de Gilbert et le journal d'Helen ne se différencient pas assez à mon goût. Le roman y perd beaucoup à mon sens, car le récit seul ne suffit pas à faire d'un roman un chef-d'œuvre, et c'est ce qui me pousse personnellement vers les classiques de cette société : ceux que j'ai lus jusqu'à maintenant sont des bijoux de finesse psychologique et de caractérisation des personnages. Ce n'était pas assez marqué ici.
Ensuite, j'ai à plusieurs reprises été interloquée par les actions et les libertés que prenaient certains personnages. Je n'ai pas pris de notes mais je me souviens de plusieurs situations où ils agissaient de façon ridicule et exagérée, particulièrement en prenant en compte le contexte social rigide de bonnes manières et de stoïcisme. Ils avaient tendance à crier, à s'énerver dans des discussions alors que rien ne justifiait une telle perte de contrôle, à jouer les "drama queens" comme j'appelle ça, et dans un tel récit je trouvais que ça sonnait extrêmement faux. Dans les
Hauts de Hurlevent, dont je ne suis pas une très grande fan, de tels comportements viennent de façon naturelle, logique presque, car le récit n'est pas du tout terre-à-terre, mais ici ce n'est pas le cas et ça retombe à plat ou pire, ça me choque. Alors oui, en tant que lectrice du XXIème siècle ça peut sembler étrange étant donné que "j'en ai vu d'autres" mais étant plongée dans ce genre de littérature où certaines choses ne se disent pas et ne se font pas, j'ai justement été d'autant plus choquée par la violence gratuite que contenaient certains actes, de manière directe ou indirecte.
Je veux parler du personnage de Gilbert, que je n'ai pas du tout apprécié. C'est un homme incroyablement puéril, vaniteux et lourd, insatisfait dès qu'on ne lui accorde pas ce qu'il veut, poursuivant Helen de ses assiduités alors qu'elle se montre froide, et lui reprochant son attitude distante envers lui. Pire que ça même, son comportement envers Lawrence m'a outrée (oui je me plonge vraiment dans mes lectures
) : je n'ai pas compris comment il a pu penser que c'était normal de l'agresser, sous le prétexte qu'il le soupçonnait d'avoir une liaison avec Helen... J'étais soufflée à ce moment de ma lecture, d'autant qu'il l'abandonne sur la route déserte et n'éprouve aucun remords, à part lorsqu'il apprend la nature exacte des relations entre lui et Helen. Pour être sincère ce n'est pas du tout le genre d'homme que j'aurais destiné à Helen ; en ce qui me concerne il me répugne et il devrait encore plus la répugner étant donné son passé conjugal.
Ce qui m'amène finalement à l'histoire d'amour du roman. Autant le dire, je n'y crois pas une seconde. Je ne vois pas du tout ce qu'ils peuvent avoir en commun, tant sur le plan intellectuel, que sur un plan personnel.
Helen est une femme de bonne naissance, cultivée et raffinée, et si Gilbert n'est pas un paysan illettré, ils sont loin d'être au même niveau. Je me rappelle d'
Emma, où Robert Martin, s'il bénéficie du respect de M.Knightley, est clairement dans une classe sociale inférieure, et l'écart entre la sienne et la gentry me paraît être un écart assez grand, même sans parler purement de conventions sociales. C'est d'ailleurs la première fois dans un roman que je vois une différence de rang social où la femme est plus élevée que l'homme.
Sur le plan personnel, Helen a déjà été mariée et été douloureusement désabusée. Elle est meurtrie et particulièrement méfiante sur le sujet. J'aurais donc souhaité la voir rencontrer un homme très doux, patient et même peu séduisant. Un homme qui aurait attaché plus d'importance à lui faire du bien en tant qu'ami plutôt que de vouloir à tout prix la séduire. Peut-être un homme qui n'aurait pas été vu comme un prince charmant, quelqu'un comme Roger Hamley de
Femmes et filles, ou le colonel Brandon de
Raison et Sentiments, ou M.Weston d'
Agnes Grey tiens. Certainement pas un gentleman farmer immature, fougueux et possessif.
Je trouve donc leur histoire d'amour peu crédible, très fade, et malheureusement elle occupe la majeure partie de l'intrigue (sauf le journal d'Helen). En fait sur ce sujet, j'ai à faire au roman le reproche inverse que j'ai pu faire à
Nord et Sud : dans celui-ci je regrettais que l'intrigue laisse si peu de place à la romance comparativement aux problèmes sociaux, et ici je regrette que la romance soit aussi centrale.
D'ailleurs, M.Hargrave est insupportable à l'héroïne mais quant à moi je ne le trouve pas pire que le héros qu'elle choisit pourtant. En tout cas il n'est pas plus violent.
Le roman comporte néanmoins de très bons aspects, à commencer par le thème des maltraitances conjugales. En cela, comme avec son roman précédent, Anne Brontë ne recule pas devant les difficultés qu'il y a à aborder un tel sujet. Toujours décrite comme la plus douce et la plus conciliante des enfants Brontë, il faut toutefois reconnaître que cette description s'accorde peu avec l'audace dont elle a fait preuve dans ses romans, et en particulier celui-ci. Elle n'hésite pas à démasquer une société idéalisée et bien nette pour en montrer les dessous.
Ainsi nous assistons aux ébats de la jeunesse de gentry qui n'a aucun scrupule à s'enivrer, faire preuve de violence et qui est pourtant intouchable. La déchéance d'Arthur est extrêmement crédible, particulièrement bien décrite, effrayante et déprimante sans tomber jamais dans la démesure ou le ridicule. Je n'ai pu m'empêcher de penser qu'Anne connaissait très bien son sujet, quant à savoir si elle s'est seulement inspirée de son frère ou si elle a pu assister à certaines choses en tant que gouvernante dans plusieurs familles, c'est une autre question.
Pour ces raisons j'ai préféré la partie du récit consacrée au journal intime d'Helen, d'une très grande modernité, plutôt que celle où l'on suit Gilbert.
Je n'ai malheureusement pas eu le plaisir du suspense de l'intrigue, car m'étant intéressée il y a un moment déjà aux sœurs Brontë, ce "détail" m'avait déjà été révélé.
Il est également beaucoup question de rédemption, à la fois pour le mari d'Helen, mais aussi pour ses amis (Hattersley...).
Lors de la lecture on peut penser qu'Helen pousse le sens du dévouement un peu loin, mais au vu des valeurs de l'époque, dont en particulier l'importance de la religion, et le fait que cette dernière faisait partie intégrante de la vie des femmes, ça ne paraît pas aberrant, bien au contraire.
Pour conclure, c'est un livre qui comporte plusieurs qualités, qui se lit quand même avec plaisir, sans s'ennuyer, mais à qui il manque cette touche qui me fait vibrer au cours de certaines lectures. Je lui préfère
Agnes Grey, moins puissant certes, mais beaucoup plus fin, délicat et charmant.