Je dois dire que c'est un très joli roman qui m'a beaucoup plu globalement.
La description de la vie de gouvernante était extrêmement intéressante et pédagogique. Je comprends mieux ce que voulait dire Jane Fairfax dans
Emma lorsqu'elle parle d'état d'esclavage, ça m'a un peu rappelé le livre d'Amélie Nothomb,
Stupeur et tremblements. C'était vraiment une situation horrible et dégradante, je n'imagine pas vivre une expérience pareille, c'est un coup à vaciller entre burn-out et dépression

. Je ne pense pas que ce soit exagéré : comme ça a déjà pu être dit, ça existe parfaitement des enfants (et des familles !) aussi insupportables et manquant totalement de savoir-vivre. Et c'est normal qu'Anne Brontë ne montre que ce genre d'enfants, elle en fait un plaidoyer en faveur des gouvernantes, elle s'appuie donc sur ce qui le justifie

.
J'ai eu la sensation de lire une autobiographie d'Anne, ce qui explique peut-être pourquoi le personnage d'Agnes est moins dur et plus timide que ceux des autres sœurs Brontë. Elle correspond bien à ce qu'on sait d'Anne, à savoir qu'elle est plus calme et douce, mais qu'elle n'est pas pour autant faible ou molle. Comme certains connaisseurs le savent, elle avait une certaine obstination et une force tranquille. Elle n'était pas violente ou vive mais capable de beaucoup quand elle prenait une décision. Il suffit de voir sa détermination à travailler en tant que gouvernante, même après son horrible première expérience.
Pour ce qui est de la romance, je l'ai beaucoup appréciée Agnès Grey

. M.Weston (
Emma 
!) m'a paru un prétendant tout-à-fait intéressant, intelligent, cultivé, avec une vraie force de caractère et une droiture morale qui ne le rend pas pour autant rigide ou fade : c'est ce qu'aurait dû être Edmund Bertram dans
Mansfield Park pour être plus attrayant. Certes M.Weston n'est pas un boute-en-train mais personnellement je l'ai trouvé bien agréable et je comprends que la douce et pieuse Agnes Grey ait pu être bouleversée par lui, leur union était naturelle. Le seul souci, c'est le manque de développement de liens entre les protagonistes : la romance commence très bien, mais à peine les deux personnages ont-ils le temps de se rencontrer et d'échanger quelques paroles, un début de connaissance, que miss Murray tient Agnes à l'écart. D'ailleurs quel comportement de peste a celle-ci

! Qu'elle s'amuse à flirter avec différents hommes sans aller jusqu'au bout (c'est-à-dire le mariage), passe encore pour moi qui suis, en tant que lectrice du 21ème siècle, peu choquée par ceci (encore qu'elle joue avec les sentiments de ses prétendants), mais s'acharner à vouloir séduire le seul homme pour lequel la pauvre Agnes a montré un tant soit peu d'intérêt ! C'est très bas, d'autant plus que sa gouvernante est très bonne avec elle. J'en profite pour faire un petit aparté : j'aime beaucoup que la deuxième famille dans laquelle Agnes travaille soit désagréable, mais de manière plus nuancée (et peut-être plus courante aussi) que la première. Je trouve que ça apporte une belle nuance au récit.
Bref, j'espérais qu'après le mariage de la peste, Agnes aurait l'occasion de reprendre sa relation avec le pasteur, afin d'approfondir un peu leur histoire avant l'obstacle suivant qui ne manquerait pas de se présenter, mais hélas non : il éveille à peine l'intérêt qu'il disparaît... Mais l'idée de base de cette romance (et son aboutissement) m'a séduite. À titre personnel, j'ai aussi été séduite parce que l'image que j'avais de M.Weston était celle de l'acteur Sam Riley

. C'est l'acteur de Darcy dans P&P&Z et s'il n'est pas très beau, je lui trouve beaucoup de charme et un air sombre qui me fait

.
Un point très positif du roman : le style, je l'ai beaucoup aimé. Je l'ai trouvé plus léger (dans un sens positif) que celui de ses sœurs et moins grandiloquent, ce qui m'a rendu le livre très agréable à lire

. Je le trouve plus réaliste que romantique, très sobre sans être aride. Il m'évoque un peu celui de Jane Austen et a donc ma préférence

. J'aime beaucoup les descriptions notamment, qui ne prennent pas beaucoup de place tout en permettant de planter le décor, mais surtout les pensées d'Agnes Grey. J'aime beaucoup sa délicatesse d'esprit, elle est très croyante mais de manière retenue, sans tout ramener à la religion ou prier de façon exaltée. Elle me plaît beaucoup cette jeune fille, je l'aurais bien suivie plus longtemps

, ce qui nous amène au point suivant.
Pour parler des points négatifs, je dirai que le récit était trop court à mon goût, j'ai trouvé ça vraiment dommage, d'autant que je prenais plaisir à lire la vie d'Agnes et à suivre les méandres de son esprit calme mais déterminé. Le dénouement m'a paru un peu rapide et improbable, ce qui m'a un peu gênée car le récit ici est plus réaliste et ne laisse pas place au surnaturel et à l'invraisemblable comme dans
Jane Eyre. Bref, j'ai un sentiment d'inachevé à cause de la fin un peu "bâclée" du roman. Je veux dire qu'on attend longtemps qu'il se passe quelque chose, puis M.Weston arrive et en deux pages, Agnes nous apprend que sa mère l'adore et il la demande en mariage. Dans l'idée c'est parfait, mais j'ai l'impression d'un manque criant de romantisme (au sens commun du terme) et d'émotion lors de cette demande en mariage qu'on espère depuis si longtemps.
Ce qui m'amène au sentiment de compassion teinté de tristesse que j'éprouve pour l'autrice à la conclusion du récit (à partir du moment où le pasteur refait surface). Je ne sais pas à quel point je peux viser juste ou pas, mais ça me fait fortement l'impression d'un rêve, voire d'un fantasme, d'Anne

. Il faut dire que l'héroïne, de par son caractère et son métier, fait énormément penser à elle et ceci me fait donc soupçonner qu'elle a écrit sa propre fin heureuse rêvée, pressentant peut-être qu'elle n'en connaîtrait pas (et il y avait en effet peu de chance, étant donné sa situation financière).
Pour conclure, je finirai en disant que ce roman m'a beaucoup plu, plus que les
Hauts de Hurlevent en tout cas, et peut-être autant que
Jane Eyre. Jane Eyre a pour lui un récit suffisamment long et construit pour satisfaire mon appétit de lectrice, mais le style est, pour moi, en faveur d'Anne. Son roman est fait d'une multitude de petites touches discrètes qui donnent un résultat très délicat.