Le dernier chasseur de sorcières - 10/18
Elle s’appelle Jennet et vit en Angleterre à la fin du 17è siècle. Elle adore sa tante, qui est une philosophe avertie, et l’initie aux sciences.
Son père est chasseur de sorcières. Précisément « piqueur ». Sur la foi de ses observations épidermiques, il fait brûler les odieuses bonnes femmes qui ont frayé avec le Malin.
Le zèle de ce père, persuadé d’être investi d’une authentique mission « divine », confine au fanatisme (Exode – « Tu ne laisseras pas la magicienne en vie »).
Sauf que la tante de Jennet est à son tour soupçonnée de contacts douteux avec le Bouc et que le brave homme consciencieux la dénonce et la fait tuer.
Une femme curieuse de comprendre le monde, au 17è. Pensez donc...
Commence alors la stupéfiante aventure de Jennet, qui assiste, impuissante, au châtiment de sa tante, et reçoit l’ordre de la victime, du haut du bûcher, de prouver l’inexistence des démons : « Jennet, les éléments ! Aristote ! ».
Le sens de toute une vie.
Dans un monde d’obscurantisme et de superstitions, notre héroïne brave tous les dangers, et son buté de père, pour prouver que la sorcellerie est une aberration, les tortures une abjection et surtout que le Diable n’est que l’idole d’esprits dérangés et de foules enragées.
Nous suivons les péripéties de Jennet, qui décide d’écrire un traité sur la question, pour le Parlement Anglais. Des lois physiques régentent notre monde : attraction, gravitation, mouvements... Non point des esprits hideux !
On passe de la pomme d’Adam à la pomme de Newton, mais quelle révolution !
Nous suivons ses péripéties : un voyage aux Etats-Unis (à Salem), où elle est enlevée par un Indien (sympa l’Indien, sauf la belle-mère, qui la tient en laisse quand elle travaille aux champs), des amours variables (elle épouse un crétin ignare au lit, mais aussi « l’électrique » Benjamin Franklin), elle accouche d’une fillette qui meurt, puis d’une autre qui survit mais est enlevée par son père (l’ignare sexuel), puis d’un garçon etc..., des rencontres : Newton (bourru, le gars !)…
Enfin, elle-même accusée de sorcellerie, elle est défendue par le majestueux Montesquieu, atterré par la moutonnerie humaine.
Le siècle des « Lumières » naît.
Péniblement.
Du souffle, de l’humour, une érudition ahurissante, une maestria picaresque, de l’histoire, de la science, et comme d’habitude, la bêtise de l’homme et la cécité d’un siècle englué dans ses commandements bibliques et ses préjugés.
Le destin d’une femme qui tient tête à une société de rustres, de peureux et de lâches.
On croise des profils pittoresques, comme ce conservateur ambulant, qui exhibe des fœtus déformés dans des bocaux pour gagner son pain. Il les aime comme ses bébés !
Ou ce fabricant de harnais poltron, ayant « l’air d’avoir emmagasiné des navets sous ses joues ».
Cerise sur le gâteau : le livre parle. Il nous parle. Il nous interpelle périodiquement, engage la conversation, parle de sa vie (de livre). Et là, c’est fabuleux ! Page 39, une complainte sur la destruction des livres. Eux aussi connaissent bien le bûcher…
En un mot : livre époustouflant, grandiose, noble…VIVANT !