La réédition du roman
Lucienne de Judith Gautier chez Les Véliplanchistes a rapidement attiré mon attention.
Présentée comme une quête identitaire, un beau portrait de femme, une fine histoire d'amour en bord de mer et avec en plus des coquillages sur la couverture, il ne m'en fallait pas plus pour céder à la tentation !
On connaît bien Théophile Gautier. Judith est sa fille et n'en déplaise à la société ultra-patriarcale dans laquelle elle écrit, ses débuts de femme de lettres sont spectaculaires. Elle est une écrivaine extrêmement prolifique, édite et publie des poèmes traduits du chinois, impressionne les cercles intellectuels par ses connaissances et sa fascination pour l'Orient, et connaît un succès éclatant avec la publication de plusieurs romans.
En 1910, elle est même élue à l'Académie Goncourt.
Judith connaît cependant une histoire d'amour malheureuse en épousant un homme séducteur et volage.
Lucienne est peut-être le moins connu de ses romans mais c'est celui-ci que j'ai choisi de découvrir en premier. Il est peut-être son plus personnel et m'a touchée par son authenticité.
Publié en 1877, il rencontre moins de succès que
Le Livre de Jade et et
Le Dragon impérial.
On lui reproche son manque d'exotisme. Il faut dire que les plages de la Manche, où se déroule le début de l'intrigue, font moins rêver que l'Extrême-Orient...
Taxé de roman sentimental et d'amour, on lui reproche sans doute à demi mots son point de vue très féminin.
Pourtant, ce roman est loin d'être une simple histoire d'amour. Il offre un portrait de femme plein de délicatesse.
Lucienne est, selon les critères de l'époque, ce qu'on pourrait appeler une femme de "mauvaise vie". Orpheline à l'adolescence, elle a du se tourner vers le théâtre puis se trouver de riches protecteurs ... Lorsque le récit s'ouvre, la jeune femme vit dans le confort matériel auprès d'un vieil homme. Ils vont ensemble passer quelques jours à la mer, dans un hôtel au bord de la Manche. Pour mieux se fondre dans la bonne société de l'établissement et éviter le scandale, Lucienne propose que son amant se fasse passer pour son oncle.
Le séjour est plaisant. Les bains sont agréables et l'observation de la mer offre quelques heures de sérénité à Lucienne, du moins jusqu'à ce qu'elle fasse la connaissance d'un client de l'hôtel, un jeune homme dont elle tombera éperdument amoureuse.
Comme dans tous les mélodrames (les bons comme les moins bons), on sent le coup et la blessure venir. Il est impossible pour Lucienne de révéler sa véritable identité à l'élu de son coeur. Elle l'aime profondément mais elle sent aussi très bien qu'il est pétri de principes.
Elle ne peut rien lui avouer de son passé au risque de l'éloigner d'elle à jamais. Le moindre faux pas risque de la perdre. Que faire ?
Depuis son arrivée à l'hôtel, tout n'est que mise en scène. Le vieil oncle est un amant éconduit et elle n'est pas la jeune femme prude et innocente que l'homme qu'elle aime voit en elle ...
Lucienne est au coeur du roman de la première à la dernière ligne. C'est sa quête d'identité et d'amour qui intéresse le plus la romancière ici. L'histoire d'amour est le moteur de l'intrigue (en ce sens, le roman reste assez proche du courant romantique de l'époque) mais c'est toujours l'héroïne qui en donne l'impulsion.
Lucienne est une jeune femme pleine de caractère, habilement croquée par Judith Gautier qui s'émeut de son sort mais ne nous épargne ni ses failles ni ses faiblesses.
Son personnage est extrêmement fouillé. Ses espoirs, ses regrets, ses doutes n'ont aucun secret pour nous.
L'écriture de Judith Gautier se démarque de celle de beaucoup de ses contemporains par son incroyable économie de moyens. Ses descriptions sont fluides et pleines de justesse. En quelques lignes seulement, elle parvient à croquer un paysage en bord de mer, et décrire avec finesse la vie de ces petites stations balnéaires souvent faite de commérages.
Elle brosse avec humour les petites et grandes hypocrises d'une société patriarcale qu'elle connaît bien. Même si le roman est teinté de mélancolie, certaines scènes ne manquent pas de piquant.
La romancière a un talent de conteuse saisissant. Sous sa plume légère et virevoltante, les évènements s'enchaînent et le roman se lit avec avidité. J'ai été tenue en haleine jusqu'au dénouement.
J'aimerais maintenant beaucoup lire
Isoline publié chez Talents hauts.
Pour info, il a son topic ici :