Je constate qu’il n’y a encore aucun topic consacré à Ford Madox Ford, ce à quoi je tiens absolument à remédier!
Il est un de mes auteurs favoris, et
Parade's End est une merveille de la littérature
Parade’s End est le nom donné à la suite de quatre romans que Ford a écrits entre 1924 et 1928:
Some do Not,
No more Parades,
A Man could stand up et
Last Post. Ils ont été adaptés à la télévision par le brillant Tom Stoppard (avec Benedict Cumberbatch et Rebecca Hall dans les rôles principaux).
L’intrigue tourne autour de Christopher Tietjens, sa femme Sylvia (avec qui son mariage bat de l’aile), et la femme qu’il aime, Valentine Wallop (une jeune suffragette). Christopher refuse de prendre Valentine pour maitresse, son code d’honneur lui interdit d’agir en ce sens. Mais l’amour qu’il partage avec elle est si pur, si profond, qu’ils n’ont pas besoin de mots pour se le dire. Ils savent. En 1914, la guerre éclate et Christopher va au front. Il y voit son monde s’effondrer.
No more Parades, c’est la fin des traditions qu’il chérissait. Au fur et à mesure des romans, il évolue, change, et on assiste à ses chamboulements intérieurs.
Parde’s End, c’est l’histoire des troubles intérieurs d’un homme sur toile de fond de la première guerre mondiale, l’un faisant écho à l’autre. C'est un ensemble de portraits psychologiques profonds, une très juste exemplification de la complexité de l'esprit humain. C'est aussi une bouleversante histoire d'amour qui ne manquera pas de vous faire frémir
On pourrait croire que ces livres sont lents et ennuyeux (vu le développement de l’intrigue, on ne peut pas dire qu’elle file à tout allure
). Mais on est loin, très loin, de s’ennuyer en les lisant. La pure beauté du texte, la flamboyante galerie de personnages, le suspens (qui certes dure, mais pas de manière agaçante), le développement psychologique des héros,... Tout cela accroche le lecteur et il m’était souvent impossible de m’arrêter de lire
Ford est un auteur exceptionnel. Il est unique, mais on peut le classer dans la catégorie des modernistes, et bien qu’il ne profite pas de la même renommée que Virginia Woolf ou James Joyce, il mérite bien sa place parmi ceux qu’on appelle ‘les classiques’.
Parade’s End entre bien dans la veine moderniste, avec sa non-linéarité, ses flash-forwards et flash-backs, ses changements abrupts de point de vue, ses 'streams of consciousness', etc. On dirait un kaléidoscope fait de petites touches qui se juxtaposent et forment une magnifique toile impressionniste. Le mot déconstruction me vient à l’esprit, mais j’ai peur qu’il ne donne une fausse idée du roman. En fait, loin de paraître décousu, il résulte en une étonnante harmonie faite de différentes facettes accolées. Ford est un véritable maître de son art. On peut par exemple assister à une scène au cours de laquelle il est fait référence à des événements passés méconnus du lecteur, pour ensuite être ramené en arrière au moment desdits événements et arriver petit à petit jusqu'à la scène décrite précédemment. On avance et on recule continuellement, il n'y a pas d'ordre chronologique linéaire. Cette fragmentation est loin d’être arbitraire: elle est la digne expression d’un monde qui s’effondre. Après la première guerre mondiale, les valeurs et les grands piliers de la société ne tenaient plus, les gens s’éveillaient à une nouvelle réalité où leurs anciennes conceptions n’avaient plus leur place. C’est ce processus graduel que Ford décrit à travers son récit.
L’écriture superbe de Ford ne fait pas que déstabiliser, au contraire. D’une manière presque magique que je ne saurais pas expliquer de manière analytique, il parvient à transporter son lecteur dans l’univers de son roman. On pénètre entièrement dans le Londres d’avant la guerre, on plonge dans les ténèbres des tranchées, on est au cœur des rues arpentées par les fiacres et progressivement par de plus en plus de voitures. Et on se sent si proches des personnages qu’ils me manquaient après avoir fini les livres (surtout Christopher). Le flot de leurs pensées est rendu de manière directe, leurs sensations physiques, leurs impressions sont transmises avec un grand réalisme, si bien que les personnages semblent sortir des pages et deviennent plus vrais que nature.
Ces livres sont un pur chef-d’oeuvre, et rien que d’en parler, j’ai envie de les relire
Pour ceux que ça peut intéresser, voici un lien vers une interview de Benedict Cumberbatch où il parle des romans et de l'adaptation de la BBC avec beaucoup d’enthousiasme:
http://www.benedictcumberbatch.co.uk/interviews/parades-end-interview-with-benedict-cumberbatch/J’ai vu que certaines d’entre vous avaient vu et aimé la série. Avez-vous lu les romans depuis? En avez-vous envie?
(Ford Madox Ford a aussi écrit une autre magnifique série,
The Fifth Queen, qui propose un point de vue unique et interpellant sur Katherine Howard, la cinquième épouse d’Henry VIII. Ce sera pour un autre sujet, mais je pense qu’il devrait plaire à certaines d’entre vous. J’irai peut-être en parler dans le topic sur les Tudor
).