Hier, j'ai lu une nouvelle de Joyce Carol Oates faisant revivre Emily Dickinson.
Parue en 2006, sous le titre "EdickinsonRepliLuxe", J C O nous emmène dans un temps où il est possible d'acheter des répliques électroniques de personnages célèbres, pourvu qu'ils soient tombés dans le domaine public. Un couple va acheter une réplique électronique d'Emily Dickinson ce qui permet d'avoir chez soi presque la vraie Emily Dickinson sauf qu'elle est sans organe: pas de sexe, pas d'intestins, rien à l'intérieur.
J'y ai vu un clin d'œil malicieux au débat agité sur la littérature et le livre électronique, mais ce n'est pas là qu'est la matière de la nouvelle.
Dans le couple, l'homme eût préféré acheter un sportif, mais sa femme souhaite satisfaire ses aspirations culturelles, elle est attirée par les poètes et la poésie. "…Walt Whitman était en promotion [….] Mais est-ce qu'il n'était pas….(?)". Puisque peut-être il était…, l'épouse choisit Emily Dickinson.
Elle cherche et pense trouver dans cette Emily, une âme sœur.
Des fois, je me pinçais en lisant, le caractère dépeint me rappelait des personnages que je fréquente épisodiquement: "Est-ce que J C O, elle aussi, fréquenterait masquée, le Whoopsy Daisy forum?" me demandai-je en poursuivant ma lecture?.
Si l'épouse oublie que cette âme sœur a été achetée, le mari ne l'oublie pas.
Emily répliquée est sa possession. Un homme ça possède: "ma voiture", "ma femme", "mon repas", "mes enfants", etc. Emily lui est incompréhensible et J C O l'exprime en lui faisant éructer, "je n'aime pas la poésie, je n'aime pas les devinettes" ce qui est un rapprochement magnifique.
Quand un mec ne comprend pas (un vrai comme ceux que connaît J C O), il cogne, il violente, il fait ce qu'il a le droit de faire, il possède cette réplication d'Emily. Sauf qu'elle ne peut pas être possédée, souvenez-vous, plus d'organes..
Et Emily? Elle est pareille à l'originale, silencieuse, recluse, elle s'occupe aux activités ménagères toute la journée, en apparaissant le moins possible . Elle est habitée par la poésie, sa poésie. Elle n'imagine pas la violence, ce n'est pas son monde, ni celui de l'épouse.
Un distique, c'est ce qu'elle laissera au mari, abandonné, en disparaissant
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Le corps de la nouvelle est construit sur l'activité ménagère d'Emily Dickinson qui était réelle et sa compulsion à écrire de la poésie. Les écoles apprennent aux enfants à faire des gâteaux selon les recettes d'Emily Dickinson. La compulsion d'écrire, la fulgurance poétique d'Emily l'amenait à écrire sur tout et n'importe quoi, liste de courses, bout de papier, morceaux d'enveloppe, etc.
Ci-dessous je vous mets deux images d'un écrit jeté par Emily sur un papier d'emballage de chocolat.
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Cette nouvelle est publiée chez Points sous le titre "Folles Nuits", ce titre est emprunté à un poème d'Emily Dickinson
Wild Nights – Wild Nights ! Folles Nuits - Folles Nuits !
Were I with thee Si j'étais avec toi
Wild Nights should be De Folles Nuits seraient
Our luxury ! Notre volupté !
(Trad. Claire Malroux)
Les autres nouvelles dans ce recueil ont toutes pour objet de se remettre dans la peau d'un écrivain célèbre, Poe, Twain, James et Hemingway. J'ai été assez impressionné par le talent de J C O, surtout à se mettre dans la peau d'Hemingway. Récit assez hallucinant de ce que "papa" a du ressentir au moment de sa fin de vie.
Quelles éponges ces écrivains qui nous plaisent!