Changer d'avis de Zadie Smith

Connaissez-vous la talentueuse auteur britannique Zadie Smith ? Il me semble que nous n'avons pas encore de topic qui lui est consacré sur le forum. Comme j'ai lu il y a quelques jours Changer d'avis, j'en profite pour lui en ouvrir un !

Zadie Smith est une romancière mais Changer d'avis n'est pas un roman. Il s'agit d'une collection d'essais divers et variés où l'auteur parle librement de son père, d'Obama, du métissage mais aussi de littérature et de cinéma.



Zadie Smith n'avait que 25 ans lorsqu'elle a publié son premier roman, Sourire de loup. Elle est devenue rapidement une star internationale de la scène littéraire, applaudie par la critique et plébiscitée par des millions de lecteurs. Pour autant, l'auteur, maintenant âgée de 38 ans montre dans cet essai qu'elle a les pieds sur terre et qu'elle n'est pas campée sur ses opinions. Si elle a choisi ce titre pour cet ouvrage, ce n'est d'ailleurs pas sans raison. Elle le dit elle-même dans l'avant-propos :

Citation :

“Lorsque vous publiez jeune, votre écriture grandit avec vous – et devant témoins. Changer d’avis m’a semblé un titre approprié pour décrire ce processus et avouer qu’au fil des ans l’opinion que l’on croit sienne évolue.”

Zadie Smith se montre donc tout à la fois honnête et lucide et fait preuve d'un humour sur elle-même (et sur les autres) caustique et franchement irrésistible. Elle est anglaise après tout
Je pense revenir de nombreuses fois à cet ouvrages tant il m'a paru riche, d'un point de vue littéraire mais aussi idéologique et intellectuel.
Changer d'avis condense en un peu plus de 400 pages ses critiques littéraires et cinématographiques, ses récits autobiographiques, ses compte-rendus de conférences, pour la plupart publiés dans la presse britannique.
Les textes sont classés en rubriques : Lire, Être, Voir, Sentir, et Se souvenir et offrent un brassage culturel, sensible et intime passionnant.
Elle ne cesse d'y interroger ce à quoi on croit et ce en quoi on "change d'avis", car pour elle, l'insconstance fait parti de nous et fait de nous des êtres vivants. C'est une manière pour elle de montrer que nous sommes faits aussi, et peut-être avant tout, d'incohérences.
Zadie Smith nous présente le vaste éventail de ses lectures, de Barthes à Nabokov en passant par EM Forster, Kafka, George Eliot, Evelyn Waugh et Zora Neal Hurston. Elle rend hommage à tous ces auteurs qui l'ont inspirée et dont elle a cherché, en tant que lectrice et elle-même écrivain à percer les secrets.
J'aurais pu prendre en note une quantité d'extraits où elle parle du pouvoir de la littérature et de la lecture tant ils m'ont passionnés !

Citation :

Les romans que nous connaissons le mieux possèdent une architecture. Non seulement une porte qui conduit à l'intérieur, mais des chambres, des couloirs à l'intérieur et une autre à l'extérieur, mais une chambre, des couloirs, des escaliers, des petits jardins devant et derrière, des trappes, des passages dérobés, et cetera. Heureux est le relecteur qui au cours de sa vie connaîtra aussi intimement une demi-douzaine de romans. [...] Lorsqu'on pénètre dans un roman favori à plusieurs reprises, on a parfois le sentiment de le posséder, et que personne d'autre n'y a jamais séjourné. On s'évertue à faire abstraction des touristes traversant avec précipitation la cuisine [...] ou cette horde d'universitaires pourchassant dans le jardin derrière la maison un écureuil (ou une série d'écureuils selon leur méthodologie). Même l'autorité créatrice de l'architecte semble devoir s'incliner devant la merveilleuse manière dont nous habitons son oeuvre.

Et cet extrait est encore plus délicieux !

Citation :

J'essaie de lire équilibré comme on dit qu'on mange équilibré ; si vos phrases sont trop amples, ou baroques, réduisez votre consommation de Foster Wallace, et mettez-vous à Kafka, comme l'on se fait une cure de légumes crus. Si votre esthétique est devenue si raffinée qu'elle vous empêche de coucher un seul mot sur le papier, arrêtez de vous inquiéter de ce qu'en dirait Nabokov : prenez donc du Dostoïevski, pour qui le style était moins important que la matière.

L'auteur parle aussi de son expérience d'écrivain, avec une ironie et une verve dévastatrices, encore une fois :

Citation :

C’est une telle escroquerie, d’écrire un roman. Et c’est vous, la personne qu’il faut en tout premier lieu rouler dans la farine. C’est difficile à faire seul. Je m’entoure de phrases et de citations, l’équivalent littéraire d’une équipe de pom-pom girls. Sauf que cette analogie ne fonctionne pas; puisque les pom-pom girls exhortent et encouragent.

Zadie Smith n'est pas qu'une lectrice assidue, c'est aussi une folle de cinéma. Elle a dévoré, comme beaucoup de cinéphiles, de nombreux films de la période glamour hollywoodienne. Elle consacre d'ailleurs deux textes à deux grandes figures de ce cinéma, Greta Garbo et Katharine Hepburn, qu'elle admire pour leur indépendance, leur intransigeance et leur anti-conformisme, dans un Hollywood très formaté.
Elle y décrit aussi les coulisses d'une soirée aux Oscars, et dénonce ce qu'elle appelle l'usine à oscars de Hollywood, qui aseptise, selon elle, le cinéma et "l'humain".

On peut y lire également des critiques échelonnées dans l'année 2006. Elle avait pour consigne de ne critiquer que des films mainstream pendant une année. Sa critique féroce de Mémoires d'une Geisha de Rob Marshall, notamment, est très drôle. Elle dit aussi son admiration pour Spielberg, son goût pour Clooney (Syriana) et Reese Witherspoon (qui, dans Walk the Line - je cite - "à elle toute seule est un programme de désintoxication" . Elle dit aussi baucoup aimer Buffy (en grande fan de la série, forcément ça me parle )

Et puis, elle livre une part de son intimité, avec authenticité, pudeur, humour et sensibilité. Elle retrace une semaine passée au Libéria où elle accompagnait l'ONG Ofxam (quel superbe témoignage !), parle de sa famille (notamment de son père, très discret) et décrit la négritude et la condition de métis à travers, notamment, la voix de Barack Obama et Les rêves de mon père.

Dans une interview, voici ce qu'elle dit au sujet du président américain :

Citation :

Dans un très beau texte sur Obama, vous décrivez sa double voix, à la fois noire et blanche. Vous écrivez: «Je sais qu’Obama a une conscience double, qu’il est noir tout en étant blanc, comme moi.» Sa force et la vôtre viennent-elles de ce qu’il a, comme vous l’écrivez, des «voix multiples» ?
Non, je pense que sa force vient surtout du fait qu’il s’agit d’une personne extrêmement intelligente et très bien éduquée. Il se trouve que, dans cet essai, j’aborde Obama sous l’angle racial parce que cet aspect de sa personnalité fait écho à la mienne, mais l’homme a beaucoup d’autres facettes. Ce que je voulais principalement dire, c’est que la fluidité dont il faut faire preuve pour naviguer entre deux communautés au sein d’un même foyer peut être envisagée comme une forme d’entraînement à la flexibilité qu’exige un certain type d’écriture. En tant qu’écrivain cette flexibilité me paraît utile dans mon travail, mais il y a des centaines de manières d’appréhender l’écriture. La flexibilité n’en est qu’une parmi beaucoup d’autres, et elle ne sert de toute manière à rien si elle n’est pas associée à une certaine persévérance, à une éducation, etc. Il n’existe pas de force innée. “

Changer d'avis est un ouvrage foisonnant, pas toujours très accessible (surtout lorsque Zadie parle de livres qu'on a pas lu - c'est d'ailleurs quelque chose auquel j'ai envie de remédier pour pouvoir mieux m'y replonger) mais néanmoins alerte, vibrant, optimiste, drôle, attachant. L'ambiance de son livre est à la fois chaleureuse et tamisée, on s'y sent bien, tout simplement. Bref, lisez ce livre si vous en avez l'occasion

J'ai trois de ses romans dans ma bibliothèque mais je n'en ai pas encore ouvert un seul. Une amie m'en a dit beaucoup de bien et m'a offert De la beauté. J'ai aussi Sourires de loup et NW en anglais (le dernier roman je crois). Je me laisserai tenter par ce recueil qui semble en effet passionnant.

Merci pour cette présentation enthousiaste et enthousiasmante de cet écrivain, Emjy. J'ai toujours eu envie de la lire depuis ce numéro spécial sur les romancières anglaises paru il y a quelques années dans le Magazine Littéraire, où il en était question ; ce que tu en dis renforce cet envie.

Si vous ne connaissez pas encore Zadie Smith, je pense que cette collection d'essais peut être une très bonne entrée en matière

D'elle, j'ai lu il y a des années De la Beauté. C'est un roman brillant inspiré de Howard's end d'EM Forster.

Je connais l'auteur de nom, mais n'ai rien lu d'elle pour l'instant... J'espère y remédier incessamment...

Ta critique est très intéressante, du coup je l'ai mis dans ma liste d'envies.

@ Miss Virginia : Je pense que cet essai devrait te plaire

@ Nina74 : Merci ! Contente que ma critique t'ait donnée envie de découvrir cet auteur

J'ai lu "De la beauté" de cette auteur et avais beaucoup aimé ce "campus novel".
Par contre, j'avais abandonné "Sourires de loup".

Son dernier essai sera le thème de l'émission "La Grande table" sur France Culture demain midi :

http://www.franceculture.fr/emission-la-grande-table-1ere-partie-trois-lectures-de-l%E2%80%99essai-critique-de-zadie-smith-%C2%AB-changer-d%E2%80%99a

Merci pour le lien MIMI23 ! J'écouterai cette émission avec plaisir !

@ Emjy: je me laisserai sans doute tenter car cet essai a l'air passionnant!

@ Miss Virginia : Oui ! Et je pense que c'est aussi un livre vers lequel je reviendrai une fois que j'aurais lu Middlemarch, Zora Neal Hurston, Barthes et que je connaîtrai mieux Kafka

Merci pour ta présentation, Emjy! J'ai lu Sourires de Loup au moment de sa sortie (il y a au moins dix ans, non?) et ce roman m'avait beaucoup beaucoup marquée. Pour un premier roman, écrit si jeune, c'est vraiment très impressionnant! Surtout que les personnages sont riches, fouillés, elle prouve qu'elle est capable d'écrire des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux de manière extrêmement crédible et intéressante.
D'elle, j'ai également lu De la Beauté, que j'avais moins aimé tout en le trouvant néanmoins plaisant et intéressant. C'est un hommage très réussi aux campus novels, mais il m'a moins happée que Sourires de Loup...
Je n'ai pas tellement suivi son évolution ces dernières années, mais ce que tu dis, Emjy, de cet essai m'intrigue beaucoup. Je vais écouter l'émission ce midi avec grand plaisir.

MIMI23 a écrit:

Son dernier essai sera le thème de l'émission "La Grande table" sur France Culture demain midi :

http://www.franceculture.fr/emission-la-grande-table-1ere-partie-trois-lectures-de-l%E2%80%99essai-critique-de-zadie-smith-%C2%AB-changer-d%E2%80%99a

Je vais écouter le replay!

Edit : l'émission était courte mais intéressante. Les critiques cherchaient vraiment quelque chose de négatif à dire car le côté "prodige" et "célébrité" me semble être un poil petit comme critique. À croire que tous les romanciers talentueux devraient être incompris et peu vendus?

Merci Emjy pour ton avis argumente.

Ce genre d'essai ça me tente aussi, même si je n'ai pas lu ses romans.

Le dernier roman de Zadie Smith sort le 10 avril !

J'aime beaucoup la couv'    :



La présentation de Gallimard :

Citation :

Leah, Nathalie, Félix et Nathan ont grandi dans la cité de Caldwell, au nord-ouest de Londres. Ils se sont connus, aimés, ou juste frôlés, puis ils ont pris leur envol. Mais à l'approche de la quarantaine, ils vivent toujours dans ce quartier cosmopolite, où cohabitent la misère et une certaine réussite sociale.
Leah, qui semblait pleine de talent, végète dans une association caritative. Elle ne veut pas d’enfant, contrairement à son mari, alors elle prend la pilule en cachette. Nathalie n’a pas toujours été Nathalie : elle a choisi de changer de prénom, espérant ainsi effacer la trace de son héritage familial. Son angoisse? Ressembler à sa mère ou à sa sœur, qui triment pour payer leur loyer, nourrir leurs enfants, et se consolent en allant à l’église. Mais elle a réussi : mariée, mère de deux enfants, elle est devenue avocate. Nathan, lui, n’a pas su échapper à la drogue et son fantôme hante le quartier. Félix enfin croit bien s'en être sorti et s'apprête à conclure l'affaire du siècle.
Pourtant un drame va traverser l'existence de ces personnages et d'une certaine manière les lier à tout jamais. Zadie Smith s’infiltre dans les pensées, les souvenirs de ses personnages, pour dresser un portrait impressionniste du quartier de son enfance, à la manière d'une Virginia Woolf du XXIe siècle

Merci pour l'info!

J'ai lu le dernier roman de Zadie Smith Ceux du Nord Ouest, présenté par Emjy, comme toujours j'ai trouvé la plume de Zadie Smith très mordante, avec un peu moins d'humour que ces précédents romans, cependant ce roman m'a totalement captivé, une fresque sociale, doublée d'une "London fiction", comprendre que le lecteur voyage dans les rues de Londres, le propos est social à 150%, j'ai apprécié grandement, même si j'ai été déstabilisé par ce contexte social très fort, beaucoup de scènes intrusives, avec Zadie Smith c'est difficile d'être décue tant elle a l'art de décrire ce melting polt, ce brassage de personnages d'origines différentes et dans lequel on peut puiser pour se ressourcer   

Le style n'est-il pas dérangeant et la lecture trop exigeante ? Il m'attire et me fait peur en même temps ...

Mimi, tu peux toujours l'emprunter et Tu as raison d'avoir un peu peur, car elle évoque des quartiers très sensibles ou l'on peut se faire poignarder à la sortie du métro, je sais qu'en décrivant le sujet du roman, je risque de faire fuir tous les lecteurs, et ce n'est pas un roman léger.
cependant ZS à travers 4 portraits a su vraiment bien saisir la vie dans ces quartiers, elle montre également à quel point ces personnages sont très attachés à leur origine, ils essaient de s'en sortir, combines, débrouille, ils ne peuvent totalement tourner le dos à l'endroit ou ils ont grandi.

Je n'insiste pas trop sur l'intrigue car je me doute que le livre peut ne pas plaire à tout le monde, c'est son propos qui est peut être "exigeant" plutôt que son style, moi je l'ai apprécié parce que l'auteure s'engage, elle évoque le racisme, de manière assez directe, j'ai du aussi patienter jusqu'à mi roman pour mieux cerner les intentions de l'auteure, soit environ 200 pages, ça peut être long, cependant lorsqu'on aborde le portrait de Keisha/Natalie ma lecture s'est éclairé et est devenue captivante, elle n'est pas tendre avec ses personnages, ils vont vivre pas mal de désillusions, et pourtant je ne l'ai pas trouvé pessimiste, ni dérangeante, elle écrit avec beaucoup de justesse,

Le style de ZS est impeccable, et le met au service de son récit, chaque portrait a vraiment son style d'ailleurs, et le portrait qu'elle fait de la jamaicaine Keisha Black/Natalie ambitieuse, qui devient avocate d'affaires vaut vraiment la lecture de ce roman, elle sort de son quartier et réussit, alors que son amie Leah va se mettre au services des autres, deux amis, deux parcours opposés ça tombe bien je n'aime pas les amitiés fusionnelles.